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Vie des entreprises

Charles Milhaud convertit les Écureuils au marché

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.11.2002 | Frédéric Rey

Dotées d'un nouveau statut depuis 1999, les Caisses d'épargne ont fait leur révolution sociale. Sous la houlette de Charles Milhaud et du DRH Bruno Mettling, classifications, rémunérations, retraites et droit syndical sont rentrés dans le rang bancaire. Une normalisation qui n'a pas été sans susciter de résistances syndicales.

Dans la tourmente boursière actuelle, l'Écureuil affiche une santé de fer. Avec son produit fétiche, le Livret A, havre de tranquillité pour les économies de quelque 26 millions de clients. Derrière cette institution vieille de 170 ans se cache la troisième banque française de particuliers. Une entreprise qui a mené tambour battant une réforme sans précédent. Il y a trois ans, le groupe Caisse d'épargne avait encore un statut d'établissement à but non lucratif et une culture administrative. En 1999, le législateur l'a transformé en banque coopérative, dont le capital appartient à ses sociétaires. Dans ce nouveau dispositif, la tête du réseau, la Caisse nationale des Caisses d'épargne (CNCE), a vu ses prérogatives renforcées. « Elle est dotée de pouvoirs qu'elle n'avait pas auparavant, précise Jacques Moreau, délégué syndical CGC et fervent partisan de la réforme. La nomination des dirigeants, par exemple, échappait au siège. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. »

Les mains plus libres, la Caisse nationale a mis à profit la réforme de 1999 pour mener à bien un projet stratégique comportant un important volet humain. Charles Milhaud, le président du directoire de la Caisse nationale des Caisses d'épargne, l'a confié à Bruno Mettling, un inspecteur des finances de 44 ans, qui fut chargé de mission de Dominique Strauss-Kahn à Bercy. En trois ans, ce DRH a totalement remodelé le paysage social du personnel des Caisses d'épargne. Retraites, droit syndical, classifications, mobilité, gestion des carrières… autant de domaines qui ont été revus de fond en comble. Le 1er janvier 2003, c'est la réforme des rémunérations qui entrera en application. Un véritable chamboulement que défend ardemment une minorité de syndicats et que combat vigoureusement la majorité d'entre eux. Lesquels ont affublé le DRH des Caisses d'épargne du surnom de « casseur du statut ».

1 CONCILIER PROFIT ET ÉTHIQUE

La banalisation, oui, mais pas trop ! La transformation du groupe Caisse d'épargne en société anonyme, comme le suggérait, un brin provocateur, le député socialiste Raymond Douyère dans un rapport qui a largement inspiré la loi de 1999, a été écartée. Cela aurait été une hérésie pour beaucoup de salariés, dont le poil se hérisse au simple mot de commercial. Ici, on préfère « conseiller » plutôt que « vendre ». « Lorsqu'un client vient chez nous, explique le directeur d'une agence parisienne, personne ne va lui sauter à la gorge pour lui vendre un Codevi, un plan d'épargne logement ou n'importe quel autre service. » Il faut dire que les Caisses d'épargne occupent, depuis le XIXe siècle, une place à part dans le paysage bancaire français, en finançant, par exemple, avec le Livret A, la construction de logements sociaux. Embauché il y a plus de cinq ans à la DRH des Caisses d'épargne du Val de France-Orléanais, Gérard Dusart a été frappé par la prégnance de ces valeurs : « Il existe un sentiment d'engagement très fort vis-à-vis des missions d'intérêt général. »

Les auteurs de la réforme de 1999 l'ont bien compris, en protégeant cette vocation solidement ancrée dans l'histoire des caisses. La fondation chargée de lutter contre la dépendance des personnes âgées a, par exemple, été confortée. Un millier de personnes environ sont employées dans les maisons de retraite gérées par cette institution. Et aux missions d'intérêt général se sont ajoutés les projets d'économie locale et sociale, auxquels le groupe est tenu chaque année d'affecter une part de son résultat net. En 2001, une enveloppe de 20 millions d'euros a ainsi été dégagée pour financer un millier d'initiatives contre l'exclusion.

Dans chacune des régions, des responsables de l'intérêt général ont été nommés pour la mise en œuvre des orientations choisies par la Fédération des caisses. « En 2001, nous avons décidé de soutenir financièrement la création de microentreprises, explique-t-on dans l'entourage de la direction de la CNCE. Les bénéficiaires, des chômeurs de longue durée ou des allocataires du RMI qui n'ont plus accès aux circuits bancaires classiques, reçoivent l'aide d'un organisme spécialisé pour les démarches et le montage financier. » Si le maintien des valeurs traditionnelles des Caisses d'épargne rassure les plus anciens, il est mis aussi en avant pour recruter des plus jeunes. « C'est un atout à l'égard de cette population en quête de sens dans son travail », souligne Dominique Languillat, directrice de l'emploi.

2 NORMALISER LES PRATIQUES SOCIALES

Heureux Écureuils ! La liste des avantages sociaux dont bénéficiaient récemment encore les 42 000 salariés des Caisses d'épargne était fournie. Bien avant les lois Aubry, la plupart des grandes caisses régionales travaillaient ainsi moins de 39 heures. « Le statut social était très généreux et en avance sur le reste du monde bancaire », reconnaît un cadre francilien. Pour Bruno Mettling, le DRH du groupe, « les caisses ont évolué au fil du temps en dehors des normes d'une entreprise de services ». En matière de retraite, les Caisses d'épargne disposaient d'un système qui n'avait rien à envier aux meilleurs régimes spéciaux du public. Après seulement trente ans d'activité, les hommes pouvaient partir en retraite à 55 ans et les femmes à 50 ans, avec des pensions à prestations définies s'ajoutant à celles du régime général. Dans certains cas, ces revenus pouvaient être supérieurs au salaire d'activité. Un système coûteux qui menaçait de plomber les comptes de l'entreprise, du fait du nombre grandissant de salariés âgés et de l'allongement de la durée de vie des retraités. En 1997, le passif social s'élevait ainsi à 10 milliards d'euros.

Pressée par les pouvoirs publics, la direction a ouvert le dossier bien avant la réforme de 1999. Pour éviter un blocage syndical, elle a choisi de prendre son temps. Pendant quatre ans, des groupes de travail paritaires ont planché sur une refonte du système. Après des phases de tension, un accord est finalement trouvé en novembre 1999. Désormais, les salariés sont affiliés aux régimes complémentaires Agirc et Arrco. Toutefois, les droits anciens ont été maintenus pour les salariés qui approchaient de leur 50e ou 55e année. Et, surtout, les caisses ont innové en créant un régime surcomplémentaire par capitalisation. « Cela a été la première grande réforme où, au nom de la pérennité de l'entreprise, on revisitait le passé », souligne Bruno Mettling.

Car la modernisation du statut ne s'est pas arrêtée là. Conduire une trieuse, remettre un duplicata de livret, exploiter un télex… « L'ancienne grille de classification, fondée sur une description des tâches, relevait d'une vision taylorienne qui avait disparu dans l'industrie, explique Jean-François Giradot, DRH des caisses de la région Rhône-Alpes. Nous lui avons substitué une logique de compétences. » Aux termes d'un accord conclu en mai 2002, chaque emploi est rattaché à un référentiel de métier. Et les postes seront à l'avenir évalués à partir de six critères : technicité, connaissances acquises, autonomie, dimension relationnelle, contribution et management.

3 CRÉER UN ESPRIT DE GROUPE

Dans le groupe Caisse d'épargne, les salariés de Lyon, Angoulême ou Perpignan ne sont pas encore tout à fait logés à la même enseigne. Le montant des primes, par exemple, varie d'un endroit à l'autre. Au final, des salariés peuvent être payés sur 14 mois dans une région, 14,5 mois dans la région d'à côté. Ce morcellement résulte de la large autonomie dont disposaient auparavant les caisses régionales et d'un dialogue social longtemps plus nourri sur le plan local que national. « C'était même pire avant 1991 », commente Jacques Moreau, délégué CGC. Avant cette date, le groupe comptait en effet 180 caisses ; leur nombre a été divisé par six, sans aucune suppression d'emploi. « Ce mouvement de concentration a également contribué à éliminer un certain nombre de baronnies locales », poursuit le syndicaliste. Cette époque semble en effet bel et bien révolue. En 2002, pour la première fois dans son histoire, la Caisse nationale a débarqué le président du directoire de la caisse du Languedoc-Roussillon, remis en cause sur son management.

Le groupe s'est appuyé sur la réforme de 1999 pour homogénéiser progressivement les pratiques RH, en commençant par le temps de travail. La norme des 1 600 heures annuelles, imposée par la seconde loi Aubry, a permis d'estomper les différences existantes. Sur sa lancée, la DRH a poursuivi avec la classification et la gestion des carrières. Pour ce dernier dossier, des actions concrètes ont été lancées avec la mise en place d'un comité de carrière, de parcours d'évaluation des futurs dirigeants, de plans d'accompagnement. Certaines règles anciennes étaient, il est vrai, quelque peu ubuesques. Pour changer de caisse, le salarié volontaire devait démissionner, solder ses congés avant de redémarrer avec une ancienneté zéro. Résultat, le taux de mobilité dans le groupe s'élevait péniblement à… 1 %.

La nouvelle politique semble porter ses fruits. En 2000, une caisse sur deux a changé de dirigeant, principalement par rotation entre les entreprises. La Caisse nationale s'attache désormais à susciter une culture de groupe. Une communication interne se met en place avec la diffusion de revues : Tout savoir et Culture groupe, cette dernière étant destinée à l'encadrement. Autre nouveauté pour le personnel, une première convention d'entreprise s'est tenue au palais des Congrès, porte Maillot, à Paris. « Un vrai show à l'américaine, raconte un cadre, avec des hôtesses juchées sur des échasses et des artistes de cirque pour rendre les pauses plus festives… » La direction a profité de l'occasion pour présenter la charte managériale, déclinée en six principes. Un outil classique dans beaucoup d'autres entreprises, mais une véritable innovation dans les Caisses d'épargne.

4 INCITER À LA PERFORMANCE

C'est la nouvelle politique de rémunération qui marque la rupture la plus forte avec le passé. Et qui constitue le point le plus controversé de la réforme. À partir du 1er janvier 2003, la rémunération des commerciaux comportera une part variable. Une mesure qui sera étendue en 2004 à l'ensemble des 42 000 salariés. Jusqu'ici, un salarié bénéficiait d'une augmentation de salaire tous les trois ans, sous la forme d'une prime dite de durée d'expérience, à laquelle s'ajoutait une prime de vacances et une autre tenant compte de sa situation familiale. Le salaire de base d'un directeur d'agence de 50 ans, père de trois enfants, avec vingt-trois ans d'ancienneté, s'élève ainsi à 2 700 euros par mois et atteint 3 208,74 euros sur 13 mois avec l'ancienneté et la prime familiale. En ajoutant la prime de vacances, le salaire annuel s'établit à 43 372,06 euros. « La contribution aux résultats était très insuffisamment prise en compte, note Bruno Mettling. Lorsqu'on versait 100 euros de salaire, 6 étaient affectés à l'ancienneté, 6 à la situation familiale et seulement 0,50 à la rétribution de la compétence et 0,50 pour la performance. Comment gagner la bataille du recrutement dès lors que nous n'avions pas les moyens de motiver ? »

En juillet 2001, la direction dénonce l'ancien accord statutaire, avec l'intention de substituer à ces mécanismes d'augmentation automatique une part variable attribuée en fonction de l'atteinte d'objectifs individuels ou collectifs. « Les anciennes primes gelées sont réintégrées dans le salaire de base, chacun conserve ses acquis passés, insiste Bruno Mettling. La part variable – comprise entre 0 et 10 % du salaire annuel – est une rémunération supplémentaire. » La Caisse d'épargne garantit également une augmentation minimale du salaire de base de 5 % sur cinq ans.

Le projet s'est heurté à une vive opposition syndicale. « Nos dirigeants étaient frustrés de ne pas pouvoir se comporter comme des patrons de banque, s'indigne Jean-Paul Halgand, de SUD. Cette individualisation des rémunérations ne correspond à rien d'autre qu'à la volonté de faire des économies de masse salariale. » Le Syndicat unifié (SU), majoritaire, qui se disait prêt à revoir à la marge l'ancien système de rémunération en étudiant une redistribution des sommes affectées aux primes, se montre amer : « Le nouveau dispositif fait table rase du passé, souligne Serge Huber, la communication bien ficelée de la direction veut faire croire au personnel qu'il va être gagnant. » Beaucoup d'anciens redoutent une banalisation des Caisses d'épargne. « Nous avons peur d'y laisser notre âme, confie l'un d'entre eux. En nous rapprochant d'une culture de l'objectif commercial, qu'est-ce qui va nous distinguer de la BNP ou de la Société générale ? »

5 CHANGER LES RÈGLES DU DIALOGUE SOCIAL

De tous les syndicats représentés aux Caisses d'épargne, seule la CGC a signé en juillet 2002 l'accord sur les rémunérations. La CFTC et FO ont participé aux négociations, mais ont prudemment refusé d'engager leur signature. Le SU, la CFDT et la CGT avaient carrément décidé de boycotter ces négociations. Les relations entre direction et syndicats s'étaient déjà envenimées plusieurs mois auparavant, lorsque Bruno Mettling avait décidé de modifier également les règles du dialogue social. Là encore, les Caisses d'épargne se distinguaient nettement du droit commun. « Avant 1999, pour faire passer la moindre réforme, il fallait impérativement obtenir la majorité des trois quarts, syndicats et direction compris, explique Bruno Mettling. Le rapport de force était déséquilibré. »

Seconde particularité, le Syndicat unifié, organisation autonome spécifique aux Caisses d'épargne, se posait en partenaire incontournable de la direction. « Le SU était partout, explique un cadre, il s'était approprié la communication sociale, était présent aux jurys d'examen. Il fallait même avoir sa carte au SU pour progresser dans la hiérarchie ! » « Nous sommes passés d'un rôle de partenaire à celui d'opposant », regrette Serge Huber, délégué national du syndicat. Depuis la loi de 1999, la règle de la majorité aux trois quarts a disparu. Les syndicats majoritaires disposent toutefois d'un droit d'opposition plus important que dans le droit commun.

Mais la direction n'en est pas restée là : elle a ouvert la boîte de Pandore du droit syndical, et dénoncé en février 2001 l'ensemble des accords sur ce thème. Objectif : revoir à la baisse les moyens et crédits d'heures. Au seul niveau national, les heures de délégation s'élevaient en effet à 165 000 par an, ce qui permettait d'accréditer 242 personnes… « Les syndicats étaient devenus des mammouths figés dans une institutionnalisation de leur rôle, observe Jacques Moreau, de la CGC. Ils n'avaient pas imaginé que la direction irait jusqu'au bout. » Grave erreur de jugement. Dans cette entreprise où les syndicats avaient pris l'habitude de voir les jours de grève dûment rémunérés, l'attitude déterminée de la direction a été un véritable électrochoc. Devant l'échec de leur grève au moment du passage à l'euro, certains militants ont dérapé. En rentrant chez lui, Bruno Mettling a eu la désagréable surprise de voir la porte de son domicile taguée et fracturée !

La DRH, qui a trouvé dans la CGC un syndicat coopératif, n'hésite plus à se passer du blanc-seing des autres organisations. Le nouvel accord sur le droit syndical est frappé d'opposition ? La direction décide de l'appliquer unilatéralement. Idem pour les rémunérations. Pour Bruno Mettling, il s'agissait d'aller vite. « Nous ne pouvions pas attendre un consensus qui aurait nécessité dix ans. » Mais la partie n'est pas finie. Les nouvelles dispositions nationales doivent dans les prochains mois être déclinées localement et rediscutées lorsqu'elles ne sont pas compatibles avec les accords locaux. Une opportunité, pour les syndicats contestataires, de remonter au créneau.

6 PRÉPARER LA RELÈVE

Comment, en seulement trois ans, renouveler un peu plus de 14 % de l'effectif lorsqu'on souffre d'un déficit d'image ? Les départs à la retraite et les créations d'emplois liés à la réduction du temps de travail font des Caisses d'épargne l'un des plus gros recruteurs de France. Entre 2001 et 2003, le groupe devrait avoir embauché environ 2000 personnes par an. « Il y a encore deux ans, le nombre de candidatures arrivant à la Caisse nationale était de cinq par semaine, explique Dominique Languillat, la directrice de l'emploi. L'entreprise n'était pas suffisamment attractive. » Une campagne de recrutement a donc été mise en place avec des moyens importants : annonces, salons, Train de l'emploi, plaquettes et sourcing (une méthode qui consiste à passer des annonces avec un minimum d'indications afin d'attirer le plus grand nombre de personnes). Une « candidathèque » dans laquelle les directeurs d'agence viennent piocher a également été créée. Du coup, le nombre de candidatures est remonté en flèche, à 50 par jour.

Mais la concurrence reste rude. Car les Caisses d'épargne recherchent des titulaires de BTS ou de DUT commercial, très convoités. « Il n'est pas rare de voir une grande banque rafler dans une école la totalité d'une promotion, souligne Dominique Languillat. Heureusement, notre image a commencé à évoluer. » Pour la direction, l'instauration d'une part variable dans la rémunération va contribuer à renforcer cette attractivité auprès des jeunes. Mais avec les vagues de départs en retraite, à partir de 2006, les Caisses d'épargne vont devoir mettre les bouchées doubles.

Entretien avec Charles Milhaud :
« Je suis frappé de la difficulté de beaucoup d'entreprises dites à statut à se réformer »

Les Caisses d'épargne n'ont aucun secret pour Charles Milhaud. Ce dirigeant de 59 ans a en effet effectué toute sa carrière dans cette entreprise où son père l'avait précédé. Diplômé en sciences, le jeune Charles fait ses premiers pas en 1964 dans l'établissement de Sète. Une par une, il va grimper toutes les marches, de la direction d'une caisse locale, départementale, puis régionale, avant d'être nommé, en 1999, président du directoire de la Caisse nationale. Aux yeux des salariés, Charles Milhaud a le parcours idéal d'un Écureuil. C'est pourtant sous sa présidence que le groupe va accomplir un véritable aggiornamento. Il conclut avec la Caisse des dépôts une alliance qui se concrétise par la création de la compagnie financière Eulia. Pour mener à bien cette opération, il va transformer les Caisses d'épargne en groupe coopératif et adapter le statut des salariés. Paradoxalement, c'est un Écureuil « pur sang » qui a conduit la modernisation de l'entreprise. Laquelle est désormais mûre pour accueillir, à l'avenir, un dirigeant du secteur privé.

Les Caisses d'épargne sont à mi-chemin de leur réforme. Comment appréhendez-vous la suite ?

Je voudrais d'abord rappeler que cette réforme était une question de survie pour le groupe. Notre environnement a changé. Il y a eu la construction européenne et l'arrivée de l'euro. Le monde financier s'est ouvert alors que les Caisses d'épargne étaient restées repliées sur elles-mêmes. Notre métier même a évolué, les Caisses sont passées de la simple collecte de l'épargne à des activités bancaires, ce qui nécessitait des changements dans nos modes de fonctionnement.

Cette évolution s'est réalisée sans problème social majeur. Nous entrons à présent dans une autre phase, celle de la vérité du terrain. Les nouvelles règles de classification ou de mobilité se concrétisent. C'est surtout à partir de janvier 2003, avec l'instauration d'une part variable dans la rémunération, que la transition va être la plus sensible.

Mais je suis confiant.

Notre point fort est de pouvoir nous appuyer sur un réseau décentralisé, qui évite d'avoir une vision monolithique : nous sommes en prise directe avec la réalité du terrain. C'est un élément important. La plupart des salariés comprennent et adhèrent à la réforme. À nous de ne pas les décevoir.

Vous avez retardé l'âge de la retraite de vos salariés, qui bénéficiaient de conditions spécifiques. Comment avez-vous fait accepter une telle mesure ?

Nous avons évité l'effet couperet pour adopter une solution en douceur. Les salariés qui étaient à quelques mois du départ vont en effet pouvoir continuer à en profiter.

Progressivement, ces conditions vont s'aligner sur celles du régime général. Personnellement, je ne pense pas qu'il soit naturel pour un homme de partir à 55 ans ou à 50 ans pour une femme, mais il faut pour cela que l'entreprise s'organise afin que le travail soit un facteur d'épanouissement personnel.

Est-ce que l'exemple des Caisses d'épargne peut être suivi par d'autres entreprises à statut ?

Nous ne prétendons pas être un modèle pour les autres. C'est toujours une tâche difficile que de signer un accord revisitant des acquis anciens.

Ces réformes sont possibles, mais elles demandent beaucoup de temps. Nous avons consacré quatre années à expliquer aux partenaires notre projet sur les retraites. Je suis quand même frappé de la difficulté de beaucoup d'entreprises dites à statut à se réformer.

Les syndicats me semblent être moins créatifs, parfois figés dans leurs positions. Mais les responsabilités sont partagées. Le rôle du dirigeant, c'est de dire les choses comme elles sont, de se projeter dans l'avenir et de prendre les mesures dès lors qu'il le faut. Quitte, dans certaines circonstances, à se passer d'un consensus préalable avec les organisations syndicales.

Je suis conscient cependant que, dans le secteur public, se pose avec une acuité particulière le problème de l'impact qu'a une action sociale sur l'activité générale et sur la population. Le vrai problème, c'est la relation au monopole.

Cette réforme engagée se heurte à une forte résistance interne…

Pas dans le corps social. Mais nous avons affaire à un corps syndical en pleine mutation. Cette question dépasse d'ailleurs la Caisse d'épargne, c'est une réalité de notre pays.

D'un côté, certains syndicats de la Caisse d'épargne, comme la CGC, sont partie prenante de ces évolutions dans le respect du rôle qui est le leur.

De l'autre, nous assistons à une radicalisation d'organisations comme SUD. Le Syndicat unifié (SU), un syndicat autonome et spécifique aux Caisses d'épargne et qui a joué par le passé un rôle majeur dans l'accompagnement de l'évolution du groupe, peine à trouver un nouveau positionnement. Pour quelques-uns, nous allons trop vite, ce qui génère une certaine tension, mais c'est une phase ponctuelle. Il ne faut pas sous-estimer le décalage pouvant exister entre la représentation syndicale et la réalité du corps social. Comme d'autres structures, les organisations syndicales sont confrontées à un problème de renouvellement.

Que pensez-vous des 35 heures ?

Chez nous, la mise en œuvre de la réduction du temps de travail s'est passée sans heurt. Le chemin à faire était moins long puisque la majorité des grandes caisses travaillaient déjà moins de 39 heures.

Mais, personnellement, j'ai senti, avec la RTT, une altération de la valeur attribuée au travail…

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Frédéric Rey

Auteur

  • Frédéric Rey