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Inculquer une culture de la sécurité

Dossier | publié le : 01.02.2003 | F.G.

L'explosion de l'usine AZF a élevé la prévention des risques industriels au rang de priorité. Premier acte dans ce sens, le projet de loi Bachelot. Il met l'accent en particulier sur le rôle des CHSCT, la maîtrise de l'urbanisation, l'information de riverains et l'encadrement de la sous-traitance.

Depuis la destruction, le 21 septembre 2001, de l'usine AZF, classée Seveso II, les grands groupes industriels disposant d'installations dangereuses sont sous surveillance. La prévention des risques industriels est devenue une priorité gouvernementale affichée, avec Lionel Jospin comme avec Jean-Pierre Raffarin. « Cet accident tragique a montré très clairement la nécessité de légiférer davantage en matière de prévention », souligne un conseiller technique au cabinet de Roselyne Bachelot, ministre de l'Écologie et du Développement durable. Laquelle a présenté le 3 janvier dernier au Conseil des ministres un projet de loi sur les risques technologiques et naturels qui doit être examiné en première lecture par les sénateurs dans les prochains jours.

Qu'est-ce qu'un risque industriel ? « C'est un événement accidentel se produisant sur un site industriel et entraînant des conséquences immédiates graves pour le personnel, les populations avoisinantes, les biens ou l'environnement », répond le site Internet du ministère. Depuis la tragédie de l'usine Seveso en Italie, en 1976, qui a vu des nuages de dioxine contaminer l'environnement, les établissements dangereux sont répertoriés et soumis, en France, à une réglementation particulière : environ 500 000 sont soumis à déclaration ; 50 000, dont 3 000 « prioritaires », doivent recevoir une autorisation et faire l'objet d'études d'impact et de danger. Enfin, les sites les plus dangereux, les installations dites Seveso, sont assujettis à une législation spécifique. Cette catégorie prend en compte la quantité de substances dangereuses présentes dans l'établissement et prévoit deux seuils de classement, un seuil bas et un seuil haut. En France, 670 établissements industriels sont dans ce dernier cas.

90 propositions pour durcir la réglementation

Dans la foulée de l'accident de Toulouse, une commission d'enquête parlementaire sur les risques industriels présidée par le député François Loos a fait, fin janvier 2002, 90 propositions destinées à durcir la réglementation. Parmi les principales recommandations figurent le renforcement du rôle des CHSCT, de la formation des représentants des salariés, l'encadrement du recours à la sous-traitance, la création de plans de prévention des risques, de postes d'inspecteurs, la participation des citoyens à travers des comités locaux d'information et de prévention des risques technologiques… La commission Loos demande aussi de nouveaux investissements aux industriels pour le stockage des matières dangereuses, la mise en place d'une échelle de gravité des incidents et la meilleure indemnisation des victimes… Autant de mesures reprises pour l'essentiel dans le projet de loi Bachelot. L'information des riverains devrait être renforcée, l'urbanisation autour des zones à risques fera l'objet d'un plan de prévention des risques technologiques. L'indemnisation des victimes sera accélérée, les industriels devront estimer les dommages. Le rôle des CHSCT sera renforcé, ses membres auront le droit de mandater un expert indépendant et de saisir un inspecteur, de donner un avis sur les postes confiés à la sous-traitance. Quant aux donneurs d'ordres, ils seront pleinement responsables de la sécurité des activités sous-traitées dans leur enceinte.

Salariés et sous-traitants en première ligne

« Un tiers des accidents majeurs est imputable à des erreurs humaines. Or l'accent a trop été mis par le passé sur la sécurité des équipements. La participation active des salariés et des sous-traitants à la gestion du risque est fondamentale. C'est d'ailleurs un point essentiel du texte, souligne-t-on au ministère de l'Environnement. La sous-traitance dans les usines Seveso à seuil haut doit être encadrée beaucoup plus strictement, à travers notamment la définition conjointe de règles de sécurité. La responsabilité globale du donneur d'ordres sur son site ne signifiant pas que le sous-traitant sera exonéré de sa propre responsabilité. » La maîtrise de l'urbanisation est un autre aspect essentiel du texte soumis au Parlement : « Le projet offre des outils pour éviter d'aggraver la situation existante, mais aussi et surtout pour l'améliorer. » C'est le droit de délaissement, c'est-à-dire le rachat des biens immobiliers des riverains de certains sites dangereux. Une mesure estimée entre 2 et 3 milliards d'euros, financée conjointement par l'État, les collectivités locales et les industriels, qui s'étalera sur plusieurs années.

La transparence est aussi soulignée. « Les arrêtés d'autorisation de nouvelles installations Seveso seuil haut sont d'ores et déjà recensés sur Internet, poursuit-on dans l'entourage de Roselyne Bachelot. Fin 2003, tous les arrêtés de fonctionnement des sites Seveso seuil haut seront consultables sur les sites des Drire, tout comme l'exhaustivité des résultats d'inspection. » Parallèlement, plus de 80 commissions locales de concertation ont été créées depuis la circulaire ministérielle de juillet dernier, demandant aux préfets de constituer des lieux de concertation publique près des usines. Les retours d'expérience sont attendus à l'été prochain. Dernier point, en application d'une directive européenne exigeant la mise en place d'un grand plan d'action sur les risques industriels, les pouvoirs publics français ont demandé aux industriels de remettre à plat leurs études de danger. Les résultats sont actuellement en cours d'examen. Ils entraîneront vraisemblablement de nouveaux investissements de sécurité de la part des entreprises concernées.

Chez le géant américain de la chimie Du Pont (2 000 salariés et cinq sites en France, dont un classé Seveso seuil haut), on se montre enthousiaste. « La sécurité est un dogme fondateur chez nous, indique le directeur de la communication, Alexandre Delacoux. Car Du Pont de Nemours, le fondateur du groupe, qui était à l'origine un fabricant d'explosifs, avait installé sa famille au cœur de son usine. » L'activité d'origine a été abandonnée mais le chimiste américain manipule à l'état pur des produits extrêmement toxiques, sur son site Seveso de Cernay-Uffholtz, dans le Haut-Rhin, spécialisé dans la protection des cultures (pesticides, fongicides, insecticides…). Depuis de nombreuses années, Du Pont a mis en place une politique de prévention qui va bien au-delà de ce qu'exige la directive Seveso. « Nous réalisons périodiquement des études d'impact d'environnement avec des auditeurs indépendants et nous organisons au moins deux fois par an des réunions d'information publique, tests et résultats indépendants à l'appui. » Le groupe industriel note d'ailleurs que, depuis l'explosion d'AZF, les riverains y viennent en plus grand nombre. L'idée d'encadrer davantage la sous-traitance, contenue dans le projet de loi Bachelot, est, elle aussi, approuvée par le groupe, qui affirme traiter ses partenaires exactement de la même manière que ses salariés : « L'agrochimie est une activité saisonnière et nous employons une large part d'intérimaires et de CDD très spécialisés à Cernay. La formation et l'encadrement sont les mêmes. La participation des sous-traitants au CHSCT de site envisagée par le projet est positive mais impliquera une forte et nécessaire mise à niveau. »

Priorité à la communication chez TotalFinaElf

Chez TotalFinaElf, qui compte une centaine de sites Seveso seuil haut, dont 40 en chimie, 58 en raffinage et 2 en exploration-production de gaz-électricité, la transparence est devenue une priorité depuis l'accident de Toulouse. Le groupe a pris une vingtaine de mesures qui nécessiteront 500 millions d'euros d'investissement dans la prévention pour les quatre prochaines années. « L'amélioration de la communication externe avec les associations, les riverains, les élus, est devenue une priorité, de même que celle de la communication interne », souligne Pierre Guyonnet, directeur de la sécurité industrielle à TotalFinaElf. La sécurité fait désormais partie des devoirs du management : « L'exemple doit venir d'en haut. Tous les examens de performance débutent par un point sécurité et tous les responsables opérationnels ont des objectifs de sécurité chiffrés. Lors de l'entretien individuel annuel, la sécurité figure parmi les premiers points évalués. Le management de la sécurité est devenu un passage obligé du parcours de tout haut potentiel. Enfin, le dialogue avec les exécutants sur les questions de sécurité devient une pratique régulière de nos directeurs. » Autre mesure prévue, les systèmes internationaux d'évaluation de la sécurité (Sies) : les audits des systèmes de management de la sécurité validés par un intervenant extérieur seront généralisés à tous les sites du groupe. Une mesure qui nécessitera plusieurs années.

Pour Gabriel Hamon, directeur des affaires sociales, de l'emploi et de la formation de l'Union des industries chimiques (UIC), il est cependant clair que l'évolution vers une culture de la sécurité ne se fera pas en un claquement de doigts. Et ce n'est pas le renforcement du rôle des CHSCT ou l'encadrement plus strict de la sous-traitance qui l'accéléreront… « Nous ne sommes pas contre le renforcement du rôle des CHSCT, précise-t-il. Nous avons signé le 4 juillet 2002 un accord avec quatre syndicats organisant la participation des représentants des sous-traitants au sein du CHSCT d'établissement sur un certain nombre de problèmes (plan de prévention, bilan d'intervention, accidents du travail…). Alors, pourquoi ajouter des CHSCT de sites ? La mesure est peu opérationnelle. Mettre en place une nouvelle structure à objectif général, c'est prendre le risque de la contradiction entre les deux, c'est une complexification mangeuse de temps. » Quant à la responsabilité du donneur d'ordres en matière de sécurité, Gabriel Hamon tempère : « Chacun doit rester responsable de ses troupes. On ne saurait intervenir dans les affaires du sous-traitant. Le donneur d'ordres doit s'assurer que son prestataire a prévu une formation et présente des garanties. Mais le projet de loi va trop loin, car le donneur d'ordres se substitue au sous-traitant. »

Des capacités de contrôle de l'État limitées

Et pourtant, même s'il reconnaît que « les industriels n'aiment pas que l'on mette le nez dans leurs affaires », Claude Gilbert, directeur de recherche au CNRS, directeur du Groupement d'intérêt sur la science des risques collectifs et les situations de crise, estime que le projet de loi est encore trop timide : « Il se focalise un peu trop sur les installations. Or le fonctionnement en flux tendu devient la règle, le stockage étant assuré de fait par les activités de transport. Ce problème n'est pas assez pris en compte. Par ailleurs, le déséquilibre est flagrant entre les acteurs du risque industriel, c'est-à-dire les grands groupes, qui possèdent la compétence et la gèrent, et les autorités de contrôle de l'État aux capacités très limitées. » 150 postes d'inspecteurs ont été créés en 2002, ce qui porte leur nombre à 1 050 début 2003 ; l'objectif du projet de loi étant d'atteindre 1 400 postes fin 2007. Mais, pour Claude Gilbert, il faudrait multiplier leur nombre actuel par deux. Autre reproche adressé aux pouvoirs publics par le chercheur, l'utilisation insuffisante du Bureau d'analyse des risques et des pollutions industriels, créé il y a quelques années par le ministère de l'Environnement. « Il est certes chargé de réunir l'information sur les incidents et quasi-incidents quotidiens. Mais les autorités n'interviennent qu'en cas de gros pépin. Enfin, contrairement à l'Agence nationale de sûreté nucléaire, il n'y a pas pour l'industrie classique de grande agence d'expertise fortement indépendante. L'Ineris sera peut-être amené à jouer ce rôle un jour. »

Reste que, depuis l'accident d'AZF, l'inquiétude de l'opinion publique est réelle. Les associations de citoyens se sont multipliées autour de Toulouse. La tranquillité des grands groupes s'en trouve quelque peu bousculée… Une fenêtre a été ouverte qui permet aujourd'hui d'améliorer la prévention des risques industriels. Et le gouvernement Raffarin compte bien en profiter.

Auteur

  • F.G.