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Vie des entreprises

Les forfaits entre jurisprudence et loi Aubry II

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.09.1999 | Jean-Emmanuel Ray

Les forfaits sont aujourd'hui la source de grandes désillusions pour les entreprises. La jurisprudence y aurait mis un terme définitif si le projet de loi Aubry II n'avait pas prévu de légaliser certaines de ces pratiques, les élargissant même parfois. Mais de quels forfaits s'agit-il au juste ?

« La qualité de cadre ne suffit pas à exclure le droit au paiement d'heures supplémentaires, sauf à constater l'existence d'un salaire forfaitaire compensant les dépassements d'horaires résultant des impératifs de la fonction » (Cass. soc. 27 octobre 1998, 4333 D). Error communis jus fecit ? (« L'erreur habituelle fait-elle le droit ? »)

Histoire de deux forfaits

• Pour les cadres dirigeants, dont l'autonomie est telle qu'il était impossible et surtout impensable d'imaginer contrôler leur temps de travail, fut créé le « forfait tous horaires ». Une rémunération aussi consensuelle qu'élevée écartait ces vrais-faux salariés, souvent en position d'employeurs, non seulement des heures supplémentaires, mais plus généralement de l'ensemble du droit concernant la durée du travail.

Si elle se limite à la population très restreinte des cadres dirigeants, la loi Aubry II (C. trav., art. L. 212-15-1) légalisera donc une pratique sociale somme toute légitime. Mais elle devra se garder de viser les cadres supérieurs, comme l'ont pourtant fait de nombreux accords d'anticipation, de branche comme d'entreprise : on peut diriger un service sans être dirigeant. Dans l'arrêt du 4 mai 1999 (1901 P), la Cour de cassation rejetait par exemple l'argumentation d'une entreprise selon laquelle « les cadres de direction (ici une chef comptable) ne peuvent bénéficier de la rémunération des astreintes puisqu'ils ont une rémunération forfaitaire ».

• Pour les autres cadres aux dépassements répétés fut créé le forfait « avec référence horaire » (ex. : « 44 heures hebdo madaires »), dont l'objectif était de simplifier la paie avec la mise en place d'un forfait sur le plan salarial couvrant les majorations pour heures supplémentaires.

Mais, peu à peu, cette paie simplifiée donna le sentiment que c'était tout le droit de la durée du travail qui passait à la trappe. Or un forfait salarial contractuel ne pouvait soustraire son « bénéficiaire » à une législation d'ordre public. Après la multiplication d'abus dans un contexte de chômage grandissant, certains cadres saisirent la justice : la chambre sociale de la Cour de cassation opéra en 1998-1999 un brutal retour à la légalité.

Une ferme politique jurisprudentielle

• Le forfait ne se présume pas : connu du salarié et contractualisé dès l'embauche (Cass. soc. 2 juin 1999, 2544 D), « l'existence d'un usage d'entreprise ne peut l'imposer au salarié » (Cass. soc. 6 juillet 1999, 3162 P).

Comme le rappelait l'arrêt du 2 février 1999 (608 D), l'importance de la rémunération d'un salarié ne peut « laisser supposer qu'il s'agit d'un forfait incluant les heures supplémentaires » : il reviendra à l'employeur, le cas échéant, d'apporter la preuve de son existence (Cass. soc. 13 avril 1999, 1752 D). Séparant clairement les deux forfaits, l'arrêt du 19 janvier 1999 indiquait que « la seule fixation d'une rémunération forfaitaire sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires incluses dans cette rémunération ne permet pas de caractériser une convention de forfait ». Si le projet de loi Aubry II est voté en l'état, il faudra pour le nouveau forfait en journées apporter une double preuve : un accord collectif autorisant cette pratique et l'acceptation individuelle du salarié en cause.

• « La rémunération forfaitaire n'est licite que pour autant qu'elle permette au salarié de percevoir au moins la rémunération à laquelle il peut légalement prétendre, y compris les majorations pour heures supplémentaires. Sa licéité suppose donc nécessairement une comparaison entre le forfait convenu et le salaire minimum conventionnel augmenté des heures supplémentaires » (Cass. soc. 4 mai 1999, 1900 P). Arrêt M. Fortunade le bien nommé, a fortiori à compter du 1er janvier 2000, où le cadre restant à 41 heures cumulera six heures supplémentaires par semaine, à des tarifs conventionnels parfois intéressants.

• « La convention de forfait d'heures supplémentaires présente un caractère contractuel et sa modification ne peut résulter que de l'accord des deux parties » (Cass. soc. 6 juillet 1999, 3165 P + B).

Ce rappel en forme de pléonasme (convention contractuelle) n'est pas inutile en ces temps de passage aux 35 heures, le balancier passant ainsi de l'autre côté. Alors que, dans le passé, nombre de cadres ont travaillé beaucoup plus que leur forfait sans demander et/ou obtenir le versement de la moindre heure sup-sup (au-delà du forfait), la réduction du temps de travail ne peut porter atteinte à cette rémunération forcément contractualisée sans leur accord exprès. La déconnexion du temps réel et de la rémunération, caractéristique du forfait, qui a tant servi dans le passé, se retourne ainsi contre certaines entreprises désirant faire admettre à Hubert que sa RTT-CET justifiait la baisse de son salaire.

FLASH

• Brève résurrection des équivalences

En permettant de créer des horaires d'équivalence par simple accord d'entreprise dérogatoire (et non par décret comme l'indique l'article L. 212-4), l'arrêt du 29 juin 1999 (P + B + R) semblait constituer une planche de salut inespérée pour les entreprises engluées dans le décompte impossible du temps de travail effectif de cadres souvent à disposition tout en n'étant pas véritablement au travail.

À la limite, un employeur constatant la présence contemplative de son encadrement entre 14 heures et 15 heures aurait pu, s'il avait trouvé un délégué syndical compatissant, signaler qu'il était déjà à 35 heures, puisque, selon l'accord signé, 40 heures valaient désormais 35 heures.

Cette RTT jurisprudentielle new-look ne semble pas très prisée Rue de Grenelle : la loi Aubry II pourrait bien lui faire un sort.

• Vol à l'insu de son plein gré

« Si le délit de vol comporte un élément intentionnel, celui-ci n'implique pas, par lui-même, l'intention de nuire à l'employeur. » Dans son souci de limiter la recherche de la responsabilité civile du salarié à la faute lourde déjà circonscrite à la faute dolosive, la Cour de cassation vient de franchir un pas supplémentaire.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray