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Repères

Louvoiements

Repères | publié le : 01.04.2003 | Denis Boissard

Trois pas en avant, trois pas en arrière, trois pas sur le côté… Les louvoiements du gouvernement sur les retraites ressemblent à la ritournelle que les enfants serinent à la récré. Visiblement tétanisée à l'idée de rééditer l'impair de Juppé en 1995, l'équipe au pouvoir suit une voie fort peu rectiligne et esquisse une réforme qui sera, semble-t-il, loin de répondre à l'ampleur des difficultés à venir. À l'inverse de la célèbre « raffarinade » (« la pente est forte mais la route est droite »), la pente apparemment choisie est faible et la route tortueuse.

Il est vrai qu'en dépit de l'intense travail pédagogique

entrepris depuis plus de dix ans, le terrain reste miné, du fait de la surdité persistante de nombreux responsables syndicaux. Le gouvernement doit donc naviguer entre plusieurs écueils. Pas question tout d'abord de prêter le flanc à l'accusation de vouloir passer en force. Mais il aurait été périlleux de s'engager dans un processus de négociation dont les enjeux dépassent largement les intérêts des seuls salariés et dont la conclusion aurait été fort aléatoire, compte tenu de l'incapacité de la plupart des syndicats à assumer une révision à la baisse des avantages acquis par leurs mandants. Le gouvernement a donc choisi la voie de la concertation, laquelle bat son plein au sein d'un groupe de travail dit « confédéral », de sous-groupes techniques et, pour faire bonne mesure, de rencontres spécifiques à la fonction publique.

Le résultat ? Pour l'heure, un inventaire d'objectifs très généraux, en forme de catalogue de vœux pieux. Y sont notamment affirmés le « choix de la répartition », mais sans exclure un complément par capitalisation ; l'objectif d'un « haut niveau de retraite », sans le chiffrer ; la volonté de « tendre » vers l'égalité de traitement entre tous les cotisants, sans plus de précisions, etc. La seule concession explicite aux efforts à fournir pour garantir le financement des retraites est une formule alambiquée sur la nécessité de « préserver les équilibres entre générations » et « la compétitivité des entreprises dans le réglage des différents paramètres dont ceux de la durée et du niveau des cotisations ». En réalité, c'est moins par cette concertation en trompe l'œil que par les réactions que suscitent leurs déclarations précautionneuses et les demi-aveux publics que les ministres concernés testent la réceptivité de leurs interlocuteurs aux mesures envisagées. Le contenu de la réforme à venir est ainsi distillé, à doses homéopathiques, au fil des interventions millimétrées des membres du gouvernement. Lesquels assurent, contre toute évidence, que rien n'est décidé. Une façon, tout en jouant officiellement le jeu du dialogue, de contourner l'obstacle syndical en prenant directement l'opinion à témoin.

Sur le fond, le dosage des mesures s'annonce d'une grande prudence

Pas question, en plaçant le curseur trop haut, de laisser se coaguler un front du refus regroupant la troupe des fonctionnaires, les bataillons des entreprises publiques et les cohortes du privé. Les régimes spéciaux de la SNCF, d'EDF ou de la RATP seront sagement laissés de côté : la mobilisation de leurs agents avait paralysé le pays fin 1995. Déjà mis à contribution par la réforme Balladur de 1993, les salariés du privé devraient bénéficier d'un répit momentané. En revanche, au nom de l'égalité de traitement, les fonctionnaires ne couperont pas à un durcissement de leurs conditions de départ à la retraite. Mais a minima. La mesure phare de la réforme serait en effet un allongement progressif de leur durée de cotisation de 37,5 à 40 ans d'ici à 2008, assorti de pénalités plus lourdement calculées en cas de départ anticipé. Ils échapperont en revanche à une révision du mode de calcul de leur pension (sur les six derniers mois de carrière au lieu des 25 meilleures années dans le privé), et peut-être même de ses modalités d'indexation (sur le traitement des agents en activité et non, comme dans le privé, sur les prix). Or seules ces dernières mesures sont susceptibles de dégager des économies significatives. Le gouvernement se prépare donc à faire accomplir à la plus grande partie des agents publics un premier pas mesuré dans le processus de réforme, en espérant qu'il ouvrira la voie à d'autres, plus conséquents… et mis en œuvre par ses successeurs. Un pari bien optimiste.

Il reste que les partenaires sociaux ne lui facilitent guère la tâche

Côté syndical, l'unité laborieusement constituée autour d'une plate-forme fort peu réaliste – n'y sont envisagées que des améliorations au système actuel – s'est désagrégée dès que le gouvernement est entré dans le vif du sujet. Sous la pression de fédérations de fonctionnaires rétives à tout changement, le discours s'est nettement durci. Côté patronal, la schizophrénie est de mise : le Medef joue les boutefeux d'un gouvernement jugé trop timoré sur la durée de cotisation, tandis que ses branches négocient des préretraites à tout-va. L'UIMM vient ainsi de conclure un accord pour élargir l'accès des entreprises au dispositif Casa. Comprenne qui pourra.

Auteur

  • Denis Boissard