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Politique sociale

Les Européens chôment de moins en moins le dimanche

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.09.2003 | Isabelle Moreau

Un énième projet visant à élargir les conditions d'ouverture des commerces le dimanche a été prudemment renvoyé aux calendes grecques par l'équipe Raffarin. Chez nos voisins, le principe de la trêve dominicale est de plus en plus écorné. Mais, entre l'Allemagne où le dimanche demeure sacré et la Grande-Bretagne où le travail se banalise, l'uniformité n'est pas la règle.

Terrain miné ! Concoctées par Patrick Devedjian, le ministre délégué aux Collectivités locales, des dispositions visant à élargir les conditions d'ouverture dominicale des commerces de détail, qui devaient initialement être intégrées à la loi de décentralisation, resteront dans les tiroirs. Après la passe d'armes sur les retraites, le gouvernement hésite à ouvrir un dossier potentiellement explosif. Renaud Dutreil, le secrétaire d'Etat au Commerce, s'est voulu rassurant : « Le principe fondamental de la réglementation reste celui du repos dominical. »

Au ministère du Travail, on tient le même discours apaisant : « Notre souci est de maintenir l'équilibre auquel nous estimons être arrivés en conciliant la nécessité du repos hebdomadaire et les évolutions de la société », explique Éric Aubry, conseiller de François Fillon. La grogne des organisations syndicales et des fédérations patronales du commerce de détail, pour une fois unis dans la défense du repos dominical, devrait donc retomber.

« C'était un rappel à l'ordre, explique Frédéric Willems, juriste à la Fédération de l'habillement. Car le projet Devedjian, qui visait à augmenter de cinq à huit les dérogations au repos dominical et à transférer tous les pouvoirs de dérogation des préfets aux maires était pernicieux et faisait suite à une proposition de loi de Patrick Balkany ayant pour but de libéraliser totalement le travail le dimanche. » Reconnu par une loi de 1906, le principe du repos dominical a souvent été combattu par de grandes enseignes comme Virgin ou Ikea. Jusqu'à ce que la loi quinquennale de 1993 soumette à autorisation préfectorale l'ouverture dominicale systématique pour ce type de magasins lorsqu'ils sont situés dans une zone touristique d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. Des dérogations de plein droit existent pour les établissements qui ne peuvent interrompre leurs activités, comme les hauts-fourneaux, les restaurants, les hôpitaux ou ceux qui vendent des denrées alimentaires au détail, qui peuvent ouvrir jusqu'à midi. Enfin, un arrêté municipal (préfectoral pour Paris) peut accorder pour les commerces de détail des autorisations exceptionnelles dans la limite de cinq dimanches par an.

La palette des dérogations est donc vaste. Sans compter qu'un petit commerce peut ouvrir sept jours sur sept, à condition que le patron tienne la caisse. Sinon, l'Inspection du travail est en droit de lui infliger une amende pouvant atteindre 1 500 euros, voire 3 000 en cas de récidive. En Europe aussi, le repos dominical est l'objet de débats intenses. En 2000, relève Eurostat, près d'un quart des Européens travaillaient habituellement ou parfois le premier jour. Monnaie courante en Grande-Bretagne, autorisé sous certaines conditions dans les pays nordiques et les pays du Sud, le travail dominical reste tabou en Allemagne. Tour d'Europe de ces salariés du dimanche.

Espagne

Porte entrouverte pour les magasins le dimanche

Dimanche, 11 heures du matin dans la rue Princesa, l'un des axes commerçants de Madrid. Le grand magasin Corte Inglés lève ses grilles. En face, dans son minuscule magasin d'accessoires, Pilar ordonne les pyramides de sacs à main et classe les paréos et les tongues par couleurs. Jusqu'au soir, sa boutique ne va pas désemplir. À quelques rues de là, les commerces de quartier gardent le rideau baissé : pas question d'ouvrir le dimanche pour ceux qui, chaque jour, ferment religieusement à l'heure de la sieste, de 14 à 17 heures, et gardent porte close le samedi après-midi. « Parce que nous avons une vie, tout de même », explique Marie Sol, propriétaire d'une droguerie voisine.

Régie par la loi générale du commerce de juin 2000 qui autorise un minimum de 11 dimanches ouvrés par an aux établissements de plus de 300 mètres carrés, la législation des horaires commerciaux est modulée selon les régions. Madrid, la plus libérale, autorise 26 dimanches par an répartis sur toute l'année ; les régions touristiques de la côte méditerranéenne allongent les horaires uniquement durant l'été, tandis que la Catalogne et le Pays basque appliquent la loi a minima, malgré la pression des grandes surfaces.

« La décision revient au commerçant et, surtout, au consommateur, affirme Rafael Serrano, porte-parole de l'Association espagnole des centres commerciaux (AECC), qui réclame la liberté totale des horaires. Il est grand temps d'admettre que les modes de vie ont changé et qu'il est commode de faire ses courses ou d'acheter des meubles le dimanche. » L'argument fait bondir Miguel Angel Fraile, vice-président de la Confédération espagnole du commerce (CEC), qui défend un petit commerce de ville, particulièrement vivant en Espagne. « Les 600 000 commerçants d'Espagne emploient 1,3 million de personnes et produisent 15 % du PIB, rappelle-t-il. Grâce à nous, les centres-villes sont chaleureux. Nous ne voulons pas de zones commerciales en banlieue à l'américaine. C'est un modèle de société qui est en jeu. »

Jusqu'à présent, ce sont les petits commerçants qui ont marqué des points. Conduit par les Catalans, leur lobby a su jouer des alliances électorales et obtenu la peau du décret Boyer qui, en 1984, à l'époque où hypermarchés et centres commerciaux commençaient à s'installer dans le pays, accordait une liberté horaire totale. La bataille énergique de la Confédération espagnole du commerce pour une « troisième voix du commerce, différente des malls à l'anglo-saxonne et des hypermarchés à la française », se révèle efficace : 60 % des achats de vêtements et 80 % des achats de viande, poisson, fruits et légumes se font toujours dans le petit commerce. Les différences d'une région à l'autre laissent clairement apparaître que la lutte pour les dimanches chômés est un bras de fer contre les grandes surfaces. À Madrid, plus ouverte à la flexibilité horaire, on compte 104 centres commerciaux, contre 48 seulement en Catalogne pour une population équivalente. La situation pourrait changer puisque la loi votée en 2000 laisse la porte ouverte aux dimanches. Mais peu de régions, jusqu'ici, se sont risquées à saisir l'opportunité.

Cécile Thibaud, à Madrid

Grande-Bretagne

Le travail dominical est entré dans les mœurs

Lisa Santry aurait préféré faire la grasse matinée, mais ce dimanche, comme 9 millions de Britanniques, elle doit se rendre à son travail. « En moyenne, je travaille deux dimanches par mois », explique cette responsable du rayon hygiène d'un supermarché de l'est de Londres. Lisa vient de recevoir son emploi du temps pour les deux mois à venir : cette jeune mère de famille sait déjà qu'elle sera mobilisée un dimanche en août et trois en septembre. « On s'arrange pour donner les plannings deux à trois mois à l'avance, afin que chacun soit en mesure de s'organiser », glisse David Williams, le responsable du personnel du magasin.

Ce supermarché n'est pas une exception dans le quartier populaire de Whitechapel dont la principale artère commerçante fourmille de monde comme un jour de semaine. Un magasin d'électroménager, une enseigne de téléphones portables, plusieurs boutiques de vêtements ont ainsi ouvert leurs portes comme le permet une loi de 1994, le Sunday Trading Act. Elle autorise les magasins d'une surface supérieure à 280 mètres carrés à ouvrir pendant six heures tous les dimanches. Quant aux boutiques d'une surface inférieure, elles peuvent accueillir les clients quand elles veulent. « L'ouverture le dimanche est très bien acceptée. Cela fait désormais partie des habitudes des Britanniques », note Peter Rees-Farrell, représentant de l'Usdam, le principal syndicat de la distribution.

La Grande-Bretagne est l'un des pays en Europe où les salariés sont les plus nombreux à travailler le dimanche. Le phénomène ne se limite pas au commerce, mais concerne également l'industrie. Toutefois, les salariés britanniques ne sont pas tous logés à la même enseigne. Alors que Lisa Santry double son salaire journalier le dimanche, les disparités restent importantes. « En moyenne, un salarié gagne le dimanche entre 33 et 100 % de plus qu'un jour de semaine », estime Peter Rees-Farrell, tout en précisant que les employés de la distribution sont mieux lotis que ceux de l'industrie.

Amendé en 1996, le Sunday Trading Act permet en effet aux employés du commerce de refuser de travailler le dimanche. Dès qu'ils ont trois mois d'ancienneté dans l'entreprise, ils peuvent choisir de privilégier le repos dominical sans donner de raison et sans s'exposer à une quelconque discrimination en cas de licenciement dans l'entreprise. Dans l'industrie, la situation est radicalement différente. Les employeurs se contentent d'appliquer une directive européenne qui fixe à quarante-huit heures par semaine la durée légale du travail. « Il n'y a pas de prime pour ceux qui travaillent le dimanche dans une usine qui fonctionne en continu », rappelle Emily Thomas, du GMB, le principal syndicat de l'industrie. « Il y a moins de flexibilité, moins de protection pour les salariés », s'indigne-t-elle.

Et de citer l'exemple de Stephen Copsey, un ouvrier d'une usine chimique du nord de l'Angleterre licencié en janvier dernier parce qu'il refusait par conviction religieuse de travailler le dimanche. Son action en justice pour licenciement abusif s'est soldée par un échec malgré le soutien de l'association religieuse Keep Sunday Special (Que dimanche reste un jour à part). Selon son président, John Alexander, l'ouverture des magasins le dimanche ne se justifie pas : « Seules 6,4 % des dépenses hebdomadaires sont effectuées le dimanche, contre 23 % le vendredi et 20 % le samedi. » Autre particularité, géographique celle-ci, les salariés écossais devaient travailler le dimanche si leurs employeurs l'exigeaient et pouvaient être licenciés en cas de refus. Mais, en mai dernier, la législation écossaise s'est alignée sur la réglementation britannique.

Jérôme Rasetti, à Londres

Norvège

La grande distribution s'accommode de la trêve dominicale

Les enseignes de distribution ont finalement eu gain de cause. Depuis le 1er avril 2003, la loi qui leur imposait des horaires très stricts – une amplitude maximale de 6 heures à 21 heures – n'a en effet plus cours. En théorie, les Rimi, ICA, Kiwi et autres supermarchés norvégiens peuvent donc garder leurs portes ouvertes 24 heures sur 24… Sauf le dimanche. Car, une législation antérieure, dite « loi sur le jour sacré », réglemente très strictement le travail dominical. Les boutiques ne peuvent ouvrir le dimanche que si leur superficie est inférieure à 100 mètres carrés. « Revendiquer le droit d'ouvrir le dimanche n'est pas d'actualité pour nous. Nous étions plus intéressés par une libéralisation des horaires d'ouverture en semaine et nous nous satisfaisons des dernières avancées », explique Jarle Hammerstad, porte-parole de HSH, l'organisation patronale de la distribution.

Certains ont essayé, sans succès, d'obtenir l'assouplissement des dispositions encadrant le travail dominical. « Avec les démocrates-chrétiens au pouvoir, l'ouverture des magasins le dimanche n'est pas pour demain », glisse-t-on au ministère du Travail. Ancien pasteur, l'actuel Premier ministre Kjell Magne Bondevik reste, en effet, inflexible sur cette question.

Et l'interdiction d'ouvrir le dimanche pourrait bien, en définitive, faire le bonheur de certaines chaînes de distribution. Car la quasi-totalité des grandes et des petites surfaces, inférieures à 100 mètres carrés, est en effet aux mains de trois conglomérats, Norges-Gruppen, Reitan et Hakon. Les deux premiers possèdent des magasins de proximité, susceptibles d'ouvrir leurs portes le dimanche. Quant à Hakon, qui détient des grandes et des moyennes surfaces, il a passé un accord avec Statoil afin de distribuer ses produits dans les stations-service de la compagnie pétrolière, ouvertes sept jours sur sept. L'enjeu n'a échappé à personne : la raréfaction de la concurrence le dimanche permet aux groupes de distribution d'écouler leurs produits au prix fort !

Pierre-Henry Deshayes, à Oslo

Suède

Des autorisations locales sur la base d'accord de branche

« C'est souvent pour des raisons conservatrices ou religieuses qu'on ne veut pas que les gens travaillent le dimanche, constate Max Fagerstedt, médiateur à Metall, la fédération suédoise des ouvriers de la métallurgie. Or ce type d'arguments n'a pas trop prise en Suède. » De fait, dans ce pays, le travail le dimanche n'est plus réglementé par voie législative depuis les années 70. « La loi qui existait antérieurement a été remplacée par des accords entre partenaires sociaux, précise Anne Olsson, négociatrice à Handels, la fédération des employés du commerce. Le travail le dimanche devait se faire sur la base du volontariat. Nous avions négocié 100 % du salaire en plus parce que nous pensions qu'un tel niveau d'indemnisation dissuaderait les employeurs d'ouvrir le dimanche. Cela n'a pas été le cas. Et les volontaires ne manquent pas, car nous avons beaucoup de salariés à temps partiel dans notre branche. Cela permet à nombre d'entre eux de s'en sortir. »

Les gratifications négociées par Handels sont toutefois exceptionnelles. Et les salariés payés double le dimanche ne sont pas légion. À Gröndal, un quartier de Stockholm, Sami Ahunisik tient depuis des années une petite boutique qui fait pressing, cordonnerie et clés minute. Il y a neuf mois, Posten, la poste suédoise, qui multiplie les fermetures de ses bureaux traditionnels pour les délocaliser dans des boutiques ou des épiceries, lui a demandé de reprendre cette activité en ouvrant tous les jours, dimanche compris. « Je l'ai fait pendant plusieurs mois. J'ai même demandé à avoir une compensation financière pour l'ouverture le dimanche. Mais je n'ai rien obtenu. Comme j'ai très peu de clients le dimanche, j'ai finalement décidé de fermer ce jour-là. »

Partout en Suède les autorisations se décident au niveau local, généralement sur la base d'accords de branche. Dans l'industrie mécanique, un accord-cadre prévoit une compensation de 50,61 couronnes (environ 5,50 euros) par heure travaillée le samedi ou le dimanche, qui viennent s'ajouter aux gratifications pour le travail en soirée et de nuit. « Les ouvriers qui font normalement les trois-huit travaillent généralement en deux-douze pendant le week-end afin que le minimum de personnes soient touchées, explique Max Fagerstedt, du syndicat Metall. Notre organisation y est opposée, car des tranches horaires trop longues détériorent les conditions de travail. Mais ce sont les ouvriers eux-mêmes qui décident. Ceux qui travaillent le week-end font des semaines de 26 heures au lieu des 40 heures normales. »

Olivier Truc, à Stockholm

L'Allemagne résiste

Outre-Rhin, le consensus politique autour du repos dominical est à peu près total.

Même la fédération du commerce (HDE) n'applique pas au dimanche sa revendication de libéraliser entièrement le temps d'ouverture des magasins. Malgré une certaine lenteur, l'Allemagne n'échappe cependant pas à la pression des consommateurs. En 1997, la loi sur l'ouverture des magasins a été amendée. Les heures de fermeture passant de 18 h 30 à 20 heures en semaine et de 14 heures à 16 heures le samedi. Depuis le 1er juin 2003, il est en outre possible d'effectuer ses achats jusqu'à 20 heures le samedi.

« La récente extension des horaires a été bien accueillie. Mais le contexte économique reste incertain et les Allemands préfèrent économiser », commente Hubertus Pellengahr, porte-parole de la HDE. Selon la fédération, 60 % des magasins situés en centre-ville ont profité de la nouvelle réglementation du samedi. Mais 90 % d'entre eux préfèrent tout de même fermer à 18 heures. Ingrid Müller, propriétaire d'un petit magasin de mode dans une rue commerçante de Berlin, n'est pas enchantée par la nouvelle législation : « Je vais devoir travailler plus longtemps et les coûts de chauffage et d'électricité vont augmenter. Je ne suis pas sûre de rentrer dans mes frais. » En attendant, elle s'accorde quelques semaines d'essai et tente d'attirer le client en offrant « 16 % de réduction à partir de 16 heures ». Selon Volker Bosse, analyste à l'HypoVereinsbank, le système devrait surtout profiter aux grandes chaînes et aux magasins les mieux placés : « Ce n'est pas l'allongement des temps d'ouverture qui fera rentrer plus d'argent dans les caisses. » Un argument que reprend Verdi, le syndicat allemand des services, qui estime que l'extension des horaires va « profiter aux gros et mettre beaucoup de petits commerces sur la paille ». Dans ce contexte, et malgré les tentatives de plusieurs villes de l'est du pays, dont Berlin, d'accorder quelques dérogations à l'occasion des fêtes de fin d'année et d'événements particuliers, l'ouverture du dimanche ne sera pas à l'ordre du jour avant plusieurs années.

Auteur

  • Isabelle Moreau