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Quelles sont les mesures les plus efficaces pour doper l'emploi ?

Débat | publié le : 01.05.2004 |

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PIERRE CAHUC

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Avec 67 000 emplois perdus en 2003 et un taux de chômage qui frôle les 10 %, le gouvernement Raffarin III a du pain sur la planche. Il met au point un projet de loi de mobilisation pour l'emploi qui porterait notamment sur l'insertion des jeunes, la prévention des licenciements et la modernisation du service public de l'emploi. Trois économistes exposent les mesures qu'ils jugent prioritaires pour booster l'emploi.

« La première des priorités est de maîtriser le coût des emplois les moins qualifiés. »

PIERRE CAHUC Professeur d'économie à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Nombre de nos partenaires commerciaux ont des taux de chômage qui avoisinent les 5 % alors que nous frôlons la barre des 10 %. Le chômage n'est donc pas une fatalité. Mais se donner les moyens de le combattre provoque des résistances, comme à chaque fois que les autorités publiques interviennent, que ce soit pour construire une route ou prélever un nouvel impôt. Cet état de fait peut expliquer pourquoi les priorités suivantes sont difficiles à mettre en œuvre.

La toute première priorité est de maîtriser le coût des emplois les moins qualifiés. Même en prenant en compte les allégements de charges actuels, le coût du travail au niveau du salaire minimum est de près de 50 % plus élevé qu'aux États-Unis, dont la population a suivi des études plus longues, en moyenne, qu'en France. Or, pour l'essentiel, ce sont les personnes sans diplôme et sans expérience professionnelle qui n'ont pas d'emploi. Le meilleur moyen d'améliorer leur efficacité est de les insérer dans l'emploi en rendant leur embauche immédiatement rentable. Penser qu'il est possible de réduire le chômage des plus démunis sans maîtrise du coût du travail en bas de l'échelle des rémunérations est illusoire. Tous les discours démagogiques sur ce thème n'y changeront rien. Reste à choisir les moyens d'y parvenir : réduction des charges sur les bas salaires ou maîtrise de l'évolution du smic.

La deuxième priorité consiste à repenser l'architecture de l'indemnisation du chômage et de la réglementation des licenciements pour créer un ensemble cohérent. Si nous voulons améliorer notre niveau de vie, nous devons accepter de vivre dans une société où l'appareil productif est sans cesse réorganisé et où des milliers d'emplois sont détruits et créés chaque jour. Actuellement, la législation du travail, fondée sur une logique de contrôle et de répression, est inadaptée à cette réalité. Il faut lui substituer une logique de prévention qui n'est pas synonyme d'absence de régulation. La législation des licenciements doit être fondée sur des mesures fiscales incitant les entreprises à tenir compte de la valeur sociale de leurs emplois. Le système d'assurance chômage doit reposer sur un engagement mutuel entre les services de l'emploi et le chômeur, dans lequel des indemnités conséquentes et un accompagnement permanent sont offerts en contrepartie d'obligations, contrôlées et sanctionnées.

La troisième priorité doit être d'évaluer l'impact des politiques d'emploi et de la formation professionnelle dont les budgets cumulés atteignent 1,8 % du PIB. Chaque gouvernement arrive avec de nouvelles idées, met en place de nouvelles mesures, dont on ne connaîtra jamais les effets, car ce sont les administrations, sous la tutelle des ministres concernés, qui ont le monopole du suivi des mesures, lorsqu'il existe. Ce phénomène monte en puissance depuis trente ans et crée une situation kafkaïenne où l'on prélève des milliards d'euros pour financer des mesures dont les évaluations réalisées à l'étranger suggèrent qu'elles sont le plus souvent inefficaces. Il est urgent de changer de mode de pensée en mettant en place de véritables procédures d'évaluation, assurées par des institutions indépendantes, permettant enfin d'accumuler de véritables connaissances.

« La réflexion sur la protection de l'emploi ne doit pas être abandonnée. »

MICHEL MARTINEZ Responsable des études à Rexecode.

Compte tenu du poids des prélèvements obligatoires et des problèmes de compétitivité qui se posent à notre pays, il est clair que de nouvelles politiques de soutien de l'emploi devront être économes en dépenses publiques. En la matière, le premier réflexe est de se tourner vers les très nombreuses pistes explorées au cours des quinze dernières années : préretraites, réformes des minima sociaux, prime pour l'emploi, réduction des droits au chômage, baisse du coût du smic, réduction du temps de travail, aménagement du cadre juridique des contrats de travail, emplois aidés…

Même s'il est délicat de porter un diagnostic sur l'efficacité relative de ces différentes mesures, les leçons du passé sont assez claires. Entre 1990 et 2003, plus de 1,8 million d'emplois ont été créés dans le secteur marchand dont plus du quart étaient temporaires. La raison de ce « succès » est connue : lorsque la protection de l'emploi est trop forte, elle est détournée par le recours au travail temporaire. La réflexion sur la protection de l'emploi ne doit donc pas être abandonnée. En particulier, il est possible de simplifier les procédures de licenciement collectif, souvent dénoncées par les entreprises comme une entrave à leur capacité de rebond, tout en mutualisant des reconversions pour les salariés concernés.

La baisse du coût du smic de plus de 15 % au début des années 90 fut un véritable succès. Menée grâce à des baisses de charges sans réduction du temps de travail, cette politique est à l'origine d'au moins 300 000 emplois. Elle figurait certainement parmi les mesures les moins coûteuses de la politique de l'emploi. Compte tenu de l'importance actuelle du chômage non qualifié, un prolongement semblerait naturel. Mais on se heurte alors à un dilemme. La mise en place des 35 heures a eu en effet une double conséquence : un relèvement très important du smic conjugué à des baisses de charges sociales, extrêmement coûteuses et défensives, pour compenser cette augmentation. Si l'on veut baisser le coût du smic, on n'a plus le choix. De nouvelles baisses de charges sont impossibles car leur coût est déjà élevé. À terme, il est probable qu'il faudra faire une pause dans les revalorisations du smic ou introduire des assouplissements du temps de travail.

Enfin, il apparaît nécessaire de changer d'orientation en matière de réformes de l'assurance chômage. Jusqu'ici, celles-ci ont essentiellement porté sur la réduction des droits. Outre l'objectif d'équilibrer les comptes sociaux, ces mesures étaient censées stimuler le retour au travail. Or la plupart des études indiquent que ces mesures ont peu d'effet sur les chômeurs de longue durée, en particulier les plus âgés et les moins qualifiés, mais en ont sur les chômeurs les plus qualifiés, qui retrouvent le plus facilement un emploi. Ces mesures ne sont donc pas discriminantes. Comme dans les pays scandinaves, il est temps de mettre en place un véritable accompagnement individualisé avec un contrôle personnalisé, sur lequel le Pare est encore trop ambigu.

« Il faut construire des emplois durables qui soient capables d'absorber les chocs à venir. »

JACKY FAYOLLE Directeur de l'Institut de recherches économiques et sociales.

Il s'agit de construire des emplois durables qui soient capables d'absorber les chocs à venir. À cet égard, la question des restructurations est une pierre de touche. L'importance des licenciements suscités par les restructurations est relativisée en invoquant le fait qu'ils sont très minoritaires dans les sorties d'emploi à un instant donné. Mais s'en tenir à cet instantané ignore deux aspects importants. D'une part, les licenciements économiques connaissent une forte variabilité, qui a partie liée avec le cycle conjoncturel, et donnent le ton à l'orientation plus globale de l'emploi. D'autre part, les personnes passées par un plan social en gardent souvent la marque dans leur trajectoire, jusqu'à la chute dans l'emploi précaire ou l'exclusion précoce du marché du travail. Elles alimentent, après leur licenciement, d'autres modes de sortie d'emploi.

Un courant se dessine pour simplifier le droit du travail et responsabiliser les entreprises en taxant les licenciements : elles gagneraient en liberté de gestion de l'emploi dès lors qu'elles contribuent à couvrir le coût social des licenciements économiques. Outre que prendre à la lettre ce mot d'ordre pourrait coûter cher aux entreprises les plus exposées à des chocs indépendants de leur gestion, c'est une conception pour le moins ambiguë de la responsabilité : l'entreprise s'en débarrasse en payant. C'est différent d'une responsabilité négociée, exercée en amont, au cours et en aval de la restructuration, qui consiste à anticiper celle-ci avec les salariés, à préparer activement leur mobilité et à œuvrer à la qualité de leur reclassement lorsque celui-ci devient nécessaire.

Depuis les années 70, on est passé d'une légitimation administrative des décisions de restructuration à une légitimation plus négociée sans qu'on ait débouché sur un dispositif stabilisé. Contrairement à une hypothèse trop facilement faite, le chef d'entreprise ne monopolise pas toujours la capacité d'anticipation de la bonne trajectoire à venir de l'entreprise. Dans la réalité des restructurations, il est aisé de trouver des exemples d'entreprises en proie à un trouble organisationnel profond, dont les équipes dirigeantes doutent des choix à opérer. Si l'intelligence de la situation n'est pas réservée à une composante de l'entreprise, il est normal que le droit ouvre la possibilité d'une négociation suffisamment approfondie entre la direction et les syndicats qui mette à l'épreuve l'argumentaire patronal. Si un processus négocié permet d'explorer positivement les options envisageables, il serait dommage de s'en passer en se contentant de taxer les licenciements. Les accords de méthode peuvent contribuer à la sécurisation d'un tel processus, à condition qu'ils ne se contentent pas d'habiller l'inéluctabilité d'une restructuration déjà décidée. Les ressources du droit doivent inciter à une négociation sérieuse entre les partenaires de l'entreprise.

La taxation des licenciements ne devrait pas être conçue comme un substitut à une légitimation négociée des restructurations, mais comme un dispositif dissuasif de dernier ressort : si l'entreprise échoue à construire un accord avec ses salariés, elle n'échapperait pas à la taxation des licenciements, suffisamment lourde pour qu'elle en ressente pleinement le coût social.