logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

CONCILIER BOULOT ET VIE PRIVÉE

Enquête | publié le : 01.05.2004 | Isabelle Moreau, Frédéric Rey

Image

CONCILIER BOULOT ET VIE PRIVÉE

Crédit photo Isabelle Moreau, Frédéric Rey

Les laboratoires Boiron, la Cogema, Lilly France et Fleury Michon, des entreprises aux petits soins pour leur personnel.

La famille d'abord. Les enquêtes le confirment : si le travail continue d'être perçu comme un élément structurant de leur existence, les salariés placent généralement leur vie privée en tête de leurs priorités. Certaines entreprises s'efforcent donc de répondre aux souhaits de leur personnel de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Non pas par philanthropie, mais parce qu'elles estiment que c'est la contrepartie logique de la forte disponibilité qu'elles leur demandent.

Un système gagnant-gagnant qui se décline différemment selon les entreprises. Patagonia offre ainsi à ses collaborateurs « une inscription dans un club de gym et la possibilité, tout en étant rémunérés, de prendre un congé de deux mois pour travailler bénévolement dans une association environnementale », explique Hervé Chabert, le P-DG pour l'Europe de cette entreprise spécialisée dans le vêtement en coton bio et autres fibres non polluantes. De leur côté, le cabinet Deloitte & Touche ou la SSII CSC Peat Marwick mettent à disposition de leur personnel une conciergerie apportant toute une gamme de services.

À l'instar du Crédit lyonnais qui a créé sa propre structure en 1948, quelques firmes vont même jusqu'à proposer à leurs salariés de garder leurs enfants dans une crèche d'entreprise. Une démarche encore rare. « Mais, avec les nouvelles incitations fiscales décidées lors de la Conférence de la famille en avril 2003, les entreprises seront davantage incitées à le faire », pronostique Frédéric Paul, l'un des fondateurs des Petits Chaperons rouges, une société spécialisée dans la création et la gestion de structures clés en main. Ce que confirme Maïlys Cantzler, présidente de Crèche Attitude, jeune entreprise positionnée sur le même créneau qui développe auprès des DRH un argumentaire choc : « Le coût d'une place en crèche (entre 300 et 1 000 euros par an) est inférieur au coût généré par le remplacement d'une personne en congé parental, si on met bout à bout les frais de recrutement, les dépenses de formation, la prime de fin de contrat. »

Gare aux dérives ! prévient toutefois Jean-François Carrara, du cabinet de conseil Algoé : « L'entreprise ne doit pas s'acheter une bonne conscience à bon compte. » Pour l'économiste Gilbert Cette, professeur à l'Université de la Méditerrannée, c'est un faux problème : « L'important c'est le sentiment qu'ont les salariés de l'avantage global. Il y a des avancées où tout le monde peut trouver son compte, le salarié comme l'entreprise. » Son souhait : importer en France « la loi sur l'adaptation des horaires de travail qui existe depuis 2000 aux Pays-Bas et qui permet aux salariés, en fonction de codes de procédure, de faire connaître leurs aspirations en matière d'horaires de travail à la hiérarchie. Celle-ci est tenue d'y répondre en opposant des arguments économiques vérifiables et en précisant la manière de résoudre le conflit en cas de désaccord ».

Une individualisation des pratiques RH que préconise également Sylvain Breuzard, le patron du Centre des jeunes dirigeants : « L'entreprise doit faire coïncider les projets personnels et les projets professionnels des salariés, qui varient en fonction des différents âges de la vie. » En attendant cette GRH à la carte, petit tour d'horizon des pratiques les plus innovantes.

Du temps partiel réversible chez Boiron

Besoin de plus de disponibilité pour élever les enfants ? Ou d'investir davantage dans des activités extraprofessionnelles ? Chez Boiron, le temps de travail a l'élasticité de la guimauve. Horaires individualisés, départs progressifs à la retraite… Le leader de l'homéopathie triture son organisation dans tous les sens pour s'adapter au plus près des envies des salariés. Ainsi, depuis plus de dix ans, le personnel peut jongler entre temps partiel et temps plein. Du pain béni pour les femmes (plus de trois quarts des effectifs). Après seulement six mois de présence, le salarié a la possibilité de demander à son chef de service un passage à temps partiel pour une période comprise entre six mois et un an. Il indique sa préférence quant à la durée hebdomadaire travaillée et quant aux jours d'activité.

À la fin de l'expérience, les deux parties se mettent d'accord sur un retour au temps plein ou bien pour prolonger la formule. « Attention, ce n'est pas du temps librement choisi, précise Renée Husson, la directrice du développement des ressources humaines.Cette possibilité de temps partiel doit rester compatible avec le bon fonctionnement du service. La demande donne lieu à un échange entre le salarié et son supérieur qui permet de trouver l'accord favorable pour tout le monde. La hiérarchie peut faire une contre-proposition en accordant, par exemple, un temps partiel de 28 heures au lieu de 24 heures. S'il n'y a pas d'autre solution que le refus, le manager doit faire une réponse écrite et motivée. »

Dans les faits, la plupart des demandes sont acceptées. Ainsi, en 2002, sur les 2147 collaborateurs, 588 personnes étaient à temps partiel choisi, la plupart dans une fourchette allant de 25 à 30 heures. Mais leur épanouissement individuel a un prix pour la société. « Nous sommes dans des organisations en mouvement perpétuel », souligne Renée Husson. Si l'aménagement du travail est plus malléable que le laissent penser certaines entreprises, encore faut-il se retrousser les manches.

La Cogema pouponne dans sa crèche d'entreprise
C'est sur décision d'Anne Lauvergeon, P-DG d'Areva, que le siège de sa filiale Cogema a pu se doter d'une crèche de 30 places à Vélizy.EDOUARD CAUPEIL/LUCE

La décision est venue d'en haut. Si la crèche Les Lucioles a pu ouvrir ses portes en février 2002 à Vélizy, en région parisienne, c'est grâce à Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva, qui souhaitait « faciliter la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle des salariés du siège », explique Philippe Lamouche, directeur du site de Vélizy. Située à une cinquantaine de mètres du bâtiment qui abrite les 550 salariés du siège de la Cogema, la structure de 350 mètres carrés est dotée d'une capacité d'accueil de 30 places. Elle fonctionne avec quatre auxiliaires et trois berceuses, encadrées par une directrice. De 8 h 15 à 18 h 45, Les Lucioles accueillent 29 enfants de salariés de l'entreprise dont les frais de garde sont fixés selon les tarifs établis par la caisse d'allocations familiales. La crèche dépanne aussi ponctuellement les salariés de la société lorsque leur mode de garde habituel est défaillant et – de manière très exceptionnelle – les salariés d'autres entreprises installées sur la zone d'activité.

Du gagnant-gagnant pour l'entreprise. « Cela simplifie la vie des salariés qui sont alors plus disponibles et plus tranquilles d'esprit. Et cela a également des répercussions positives sur la bonne marche de l'entreprise. L'absentéisme est moins important », explique Philippe Lamouche. La directrice de la crèche, interlocutrice privilégiée des 12 pères et 17 mères qui déposent chaque jour en voiture leur enfant aux Lucioles, le confirme : « Les parents sont très contents et détendus. Certains ont même abandonné leur précédent mode de garde pour inscrire leur enfant chez nous. D'autres ne veulent entendre parler que de la crèche et peuvent sereinement envisager d'avoir un autre enfant. »

Congé parental rémunéré chez Fleury Michon

La formule a déjà séduit 140 personnes depuis sa mise en place en 1994. De quoi s'agit-il ? De la possibilité offerte par Fleury Michon à ses quelque 3 500 salariés de prendre un congé parental, rémunéré 504 euros par mois, tout en ayant l'assurance de retrouver leur emploi. « Applicable dès le premier enfant, cette disposition, contenue dans l'accord d'entreprise, permet aux salariés de quitter temporairement l'entreprise jusqu'aux 6 ans de l'enfant (ou même jusqu'aux 9 ans à partir du troisième enfant) », explique le DRH, Éric Lanciaux. Seules conditions à remplir : avoir un an d'ancienneté et faire sa demande trois mois avant la date souhaitée de départ en congé. À son départ, le salarié sera remplacé, en règle générale, par une personne à la recherche d'un premier emploi.

Autre clause non négligeable contenue dans l'accord : la possibilité pour les salariés absents (majoritairement des femmes) de conserver les mêmes avantages et les mêmes tarifs de la mutuelle d'entreprise. Et, pour favoriser le retour au poste de travail – ou à un poste équivalent – après plus de deux ans d'absence (la durée du congé parental est en moyenne de trois ans), le groupe vendéen d'agro-alimentaire offre à ses collaborateurs l'occasion de faire un bilan de compétences et de suivre une formation professionnelle d'adaptation dans le cas où des changements techniques auraient eu lieu sur leur poste de travail. Ce qui permet de préparer dans de bonnes conditions les salariés à leur retour dans l'entreprise.

L'usine à vivre de Lilly France à Fegersheim
Le pressing fait partie des nombreux services proposés aux 2 000 salariés de Lilly France, qui a voulu transformer son site alscacien de Fegersheim, près de Strasbourg, en « usine à vivre ».LILLY

Besoin de faire retoucher votre manteau ? De vous ravitailler en produits pour vos lentilles ? De rencontrer votre conseiller CAF ? De faire changer vos plaquettes de freins ? Inutile de courir à droite, à gauche. L'usine alsacienne de Lilly France, filiale du groupe pharmaceutique américain, située à Fegersheim, propose toute une palette de services à ses quelque 2 000 salariés. Il y a deux ans, cette importante unité de production spécialisée dans la fabrication d'anticancéreux et d'insuline, installée depuis 1967 près de Strasbourg, est devenue une véritable « usine à vivre », avec la construction sur le site de 387 hectares d'un nouveau bâtiment de 3 000 mètres carrés spécialement dédié au personnel.

Pour la direction du site, il s'agissait d'accompagner la croissance des effectifs (multipliée par trois ces dix dernières années) par de nouvelles installations, telles qu'une cafétéria supplémentaire, un service de santé plus spacieux, mais également d'accueillir les nouveaux services proposés aux employés. Une démarche qui faisait suite aux souhaits exprimés par les salariés dans l'enquête intitulée « À l'écoute des collaborateurs » réalisée en 1997. « Les employés demandaient une meilleure qualité de vie au travail et une meilleure qualité de leur temps libre. La population sur le site, qui est jeune et habite souvent loin, attendait autre chose que des horaires de travail adaptés », indique Marie-Antoinette Klein, responsable de la communication du site de Fegersheim.

Aujourd'hui, près d'une vingtaine de services sont proposés aux collaborateurs, choisis par un groupe représentatif de salariés et supervisé par Marie-France Meunier, la responsable des services aux employés. Et la demande suit. En 2003, celle-ci recensait 1984 kilos de linge repassé, 587 articles recousus, 1902 articles déposés au pressing, 237 articles remis à neuf par le cordonnier, 5 380 kilos de fruits et légumes bio livrés et près de 16 000 timbres vendus en seulement six mois… Sans oublier la fréquentation très importante des permanences hebdomadaires assurées – à l'heure du déjeuner – par la caisse d'allocations familiales de Strasbourg et la caisse primaire d'assurance maladie de Sélestat.

Intermédiaire entre les collaborateurs et les prestataires de services, Lilly France « élabore un cahier des charges et signe des conventions de partenariat avec des prestataires de services de la région, comme les commerçants locaux, les associations d'insertion ou les centres d'ateliers par le travail », explique Marie-France Meunier. Les services proposés sont payés par les salariés, à l'exception du Cyber-espace (cinq PC équipés de casques audio, de webcams et connexion à Internet haut débit), totalement gratuit pour ses utilisateurs. De plus, pour favoriser l'accès aux ser vices de tous les salariés – nombreux travaillent en trois-huit, avec des plages horaires (5 heures-13 heures ; 13 heures-21 heures ; 21 heures-5 heures) variant tous les deux jours –, le bâtiment est ouvert de 7 h 30 à 18 heures, sans interruption.

Auteur

  • Isabelle Moreau, Frédéric Rey