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Quelle réforme pour le régime d'assurance chômage ?

Débat | publié le : 01.06.2004 |

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JEAN TIROLE

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Rien ne va plus à l'Unedic. La convention du 1er janvier 2004 vient d'être annulée par le Conseil d'État, et les finances du régime, déjà lourdement déficitaires, vont être malmenées par la réintégration des « recalculés ». Hormis les recettes classiques consistant à augmenter les cotisations et à réduire les allocations, comment refonder un système d'assurance inadapté à un chômage de masse ? Trois experts donnent leur réponse.

« Appliquer le principe pollueur-payeur aux entreprises qui licencient. »

JEAN TIROLE

Professeur d'économie à l'université de Toulouse, coauteur du rapport « Protection de l'emploi et procédures de licenciement » pour le CAE.

Fidèle à la logique de mutualisation, notre système d'assurance chômage refuse de responsabiliser les entreprises qui licencient. Or toute suppression de poste implique un coût financier et psychologique pour le salarié concerné et un prix pour l'Assedic qui le prend en charge. Avant de sacrifier un poste, l'employeur devrait donc comparer la perte que générerait son maintien avec le coût total du licenciement pour le salarié et l'Unedic. Ce n'est pas le cas aujourd'hui puisque les entreprises, sauf exception, ne paient rien à l'Unedic lorsqu'elles réduisent leurs effectifs. Il y a là une véritable incitation au licenciement. Pis : pour financer les indemnités versées aux sans emploi, le système d'assurance chômage ponctionne la masse salariale, via les cotisations payées conjointement par l'employeur et le salarié. Bref, il ménage les entreprises qui licencient, mais taxe celles qui préservent l'emploi ! En contrepartie, elles sont soumises à un processus administratif et judiciaire lourd et arbitraire. Des conseillers prud'homaux et des juges surchargés qui n'ont pas les informations nécessaires, ni la compétence requise, sont amenés à statuer sur la base de critères flous et économiquement peu fondés. Il faut remettre à plat ce système.

D'abord en demandant aux entreprises de payer le coût social de leurs licenciements, comme c'est le cas aux États-Unis. Concrètement, on pourrait leur appliquer le principe pollueur-payeur. L'employeur rembourserait à l'Unedic tout ou partie des allocations chômage effectivement perçues par le salarié remercié. Résultat : il aurait tout intérêt à déployer beaucoup plus d'énergie pour préserver l'emploi d'un salarié peu qualifié dans un bassin d'emploi déprimé que pour sauvegarder celui d'un employé à même de retrouver un travail en une semaine. En échange du versement à l'Unedic des taxes de licenciement, les entreprises bénéficieraient d'une baisse de leurs cotisations chômage. Et les procédures administratives et judiciaires pourraient être allégées.

Moyennant quoi les entreprises seraient sûrement moins réticentes à offrir des contrats à durée indéterminée. Dernier pilier de la réforme : le retour à un statut unique de contrat de travail, avec la disparition des CDD, synonymes de précarité. Un tel système de bonus-malus permettrait de stabiliser les comptes de l'Unedic. En récession, notre système d'assurance chômage offre un choix peu plaisant entre la réduction des prestations versées aux chômeurs et l'augmentation des cotisations sur les actifs, incitant d'autant plus les entreprises à licencier que le chômage est élevé. Une amélioration du système actuel autoriserait l'Unedic à lisser ses comptes en accumulant des surplus en période de bas chômage (pourvu que l'État puisse s'engager à ne pas mettre la main sur ces surplus) et en les déboursant en récession. Une autre approche (pas nécessairement incompatible) est l'adoption du bonus-malus. Sans être parfaitement synchronisées avec les prestations, les recettes liées à la taxe de licenciement augmenteraient en effet avec la montée du chômage, stabilisant les finances de l'Unedic. Voilà une réforme qui permettrait de réconcilier les salariés, soucieux de sécurité, et les entreprises, en quête de flexibilité de gestion. Et de relancer l'emploi.

« Il faut réfléchir à un nouveau contrat social qui lierait les droits et devoirs des chômeurs. »

CAROLE TUCHSZIRER

Chercheuse à l'Ires.

Le système français est ainsi fait que l'indemnisation des chômeurs implique de nombreux acteurs. L'Unedic, gérée par les partenaires sociaux, n'assure la couverture indemnitaire que de 45 % des demandeurs d'emploi ; l'État, dans le cadre de la solidarité, accorde aux exclus de l'Unedic une allocation forfaitaire « décrochée » du salaire ; et, désormais, les conseils généraux assurent le versement du RMI, une prestation s'apparentant de plus en plus à un troisième type d'allocation chômage. Entre ces acteurs, les processus de décision ne sont jamais coordonnés. C'est plutôt l'effet domino qui prédomine. Même si la réforme de l'allocation spécifique de solidarité (ASS) a été supprimée, c'est bien la décision prise en 2002 par l'Unedic de durcir les conditions d'indemnisation des chômeurs qui a conduit les pouvoirs publics à en faire autant avec l'ASS pour contrecarrer l'augmentation prévisible du nombre des allocataires. Cet effet déversoir qui devrait se traduire, mécaniquement, par une augmentation des allocataires du RMI pourrait aussi expliquer son transfert aux départements. Ce partage des tâches est aussi illisible qu'injuste et déresponsabilisant. C'est pourquoi, sans même évoquer le débat sur le « regroupement institutionnel », il devient prioritaire d'améliorer la gouvernance du système indemnitaire français. Pourquoi pas une « conférence des financeurs » qui regrouperait les partenaires sociaux, l'État, les conseils généraux, et dont la vocation serait triple.

D'abord, prendre en charge de manière coordonnée le risque chômage en mettant en place une politique indemnitaire ambitieuse qui se fixe pour objectif d'améliorer le taux de couverture quel que soit le statut des chômeurs. Que dire, en effet, d'un système d'assurance chômage qui n'indemnise que moins d'un chômeur sur deux ?

Ensuite, réfléchir à la nature d'un nouveau contrat social qui lierait les droits et les devoirs des chômeurs mais aussi des entreprises et des acteurs publics. Souhaitons-nous ou pas, imiter les pays scandinaves qui privilégient un haut niveau de protection sociale associé à l'obligation de s'engager dans des dispositifs d'aides à l'emploi ?

Enfin, il faut modifier les règles de perception des cotisations et prestations. Le régime d'assurance chômage est le plus sensible à la conjoncture économique. Non seulement ses ressources diminuent en phase de récession économique, mais ses dépenses augmentent rapidement dès que la croissance ralentit. Cette évolution mécanique fait bégayer l'histoire. En 1993 comme en 2002, les gestionnaires de l'Unedic ont baissé les prestations chômage au moment où il devenait plus difficile de retrouver un emploi et ils ont augmenté les cotisations – ou ont songé à le faire – quand les entreprises étaient mal en point. Pour inverser cette tendance, on pourrait envisager la mise en place d'un fonds de réserve ou encore prévoir des mécanismes de compensations budgétaires. Au-delà des solutions techniques, c'est l'accord de tous les acteurs qui permettra de redéfinir les règles du jeu.

« On peut rêver d'un système avec un noyau de prestations et de cotisations intouchables. »

DOMINIQUE BALMARY

Conseiller d'État.

Chaque crise décennale du régime d'assurance chômage repose cette question.

Pourquoi ? Peut-être parce que la seule vraie tentative de résoudre ce problème structurel du financement de l'indemnisation du chômage, celle du régime unique de 1979, associant État et partenaires sociaux, a volé en éclats quelques années plus tard. Peut-être parce qu'aucune des propositions (application du principe pollueur-payeur aux licenciements économiques ou aux CDD, injection d'un peu de valeur ajoutée dans l'assiette des cotisations) ne pourra contrecarrer l'effet de ciseaux à la source de tous les ennuis du régime : plus il y a de chômeurs à indemniser, moins il y a de cotisations à faire rentrer. Peut-être, enfin, parce qu'une réforme de fond suppose que l'on perturbe l'équilibre implicite trouvé entre l'État et les partenaires sociaux : agrément des accords, financements croisés, déversements d'un régime dans l'autre, interventions de secours… les crises se résolvent toujours.

Au prix d'un appel au contribuable, mais surtout d'une déstabilisation de la situation des chômeurs, d'une irritation des entreprises, dans une ambiance de drame. Il n'y a pas de parade parfaite, stable et consensuelle à la fragilité du régime d'indemnisation du chômage.

On peut, néanmoins, esquisser quelques réflexions propres à limiter ses anomalies les plus choquantes. La « technique de sauvetage » qui prévaut depuis vingt ans permet de faire face à une crise présentée comme inopinée. On pourrait l'organiser de façon un peu plus préventive en imaginant les modalités selon lesquelles les uns et les autres entendront gérer la crise éventuelle. Ce serait une sorte d'« accord de méthode ».

On peut concevoir un système plus ambitieux dans lequel l'État serait structurellement associé au financement du régime, soit par une participation globale, soit par le cofinancement de certaines prestations. Ce qui ressemblerait assez, pour la première formule, au régime unique de 1979 ou, pour la seconde, au régime issu des négociations de 1986-1987. Si on veut éviter des immixtions trop fréquentes de l'État dans la gestion du régime d'assurance, son intervention pourrait être prévue pour être mise en œuvre seulement en cas de grave crise financière. On peut, enfin, rêver d'un régime d'assurance « auto-adaptable », dans lequel les partenaires sociaux fixeraient un noyau dur de prestations et de cotisations intouchable, même en cas de crise. Ils détermineraient également les contours de prestations et de cotisations dont la variation, à la hausse comme à la baisse, ferait l'objet d'une décision du conseil d'administration du régime et non plus d'une négociation entre les partenaires sociaux. En cas d'impossibilité de traiter la totalité du problème, une intervention de l'État pourrait alors être dé- clenchée dans conditions préparées et affichées à l'avance.

Le choix pour une refonte du financement du régime d'assurance chômage est loin d'être facile. Mais il supposerait que l'on veuille bien reconnaître que l'indemnisation du chômage ne doit obéir ni à des règles éternelles ni à des à-coups brutaux. Elle devrait combiner les exigences de la sécurité et de l'adaptabilité, qualités que ne garantit guère notre actuelle préférence pour la régulation par la crise.