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Trouver la perle rare dans une boule de cristal

Enquête | publié le : 01.06.2004 | S.B.

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Trouver la perle rare dans une boule de cristal

Crédit photo S.B.

Tarots, cartes du ciel, suites de nombres… Pour trouver le collaborateur parfait, ou éviter les erreurs stratégiques, certains dirigeants s'en remettent aux astres ou aux nombres. Dans le plus grand secret. Un phénomène marginal, mais qui touche tous les secteurs.

Nous sommes tous des numéros

« Vous êtes né un 24 juin ? Ne changez surtout pas de poste ou de boîte cette année, vous allez au casse-pipe ! » On a beau calculer et recalculer, rien à faire : l'addition des chiffres contenus dans 24.6.2004 donne invariablement 18. Et comme 1 + 8 = 9, il faut se rendre à l'évidence : on est en « année personnelle 9 ». La plus mauvaise pour changer d'affectation professionnelle. « Attendez l'année prochaine, vous mettrez toutes les chances de votre côté. Le meilleur moment, c'est cinquante-deux jours après votre date anniversaire. » Recrutement, gestion des carrières, constitution d'équipe… La numérologie, présentée comme une science quasi exacte par ses gourous, constituerait un outil managérial d'une très grande fiabilité. Les nom, prénoms et date de naissance suffiraient pour déterminer la « courbe existentielle » de n'importe quel salarié, et donc évaluer sa capacité à tenir un nouveau poste ou s'intégrer dans une nouvelle équipe. « On voit le caractère de la personne, les vibrations de l'année », témoigne Chrystelle Chambon, numérologue à Paris. « Statistiquement, nos prédictions se réalisent avec une certitude d'au moins 96 %. La précision, c'est l'obsession du numérologue », confirme Jacques Raduriau, fondateur et président du Syndicat national des numérologues professionnels. Sauf quand il s'agit de communiquer le nombre d'adhérents de ladite organisation. Tout au plus saura-t-on que la France est « carencée » en numérologues : ils seraient une « petite centaine », «sursaturés de travail », fonctionnant par le bouche-à-oreille. Ceux qui font de la pub ? « Des charlatans ».

Marginale en entreprise, la numérologie serait avant tout une affaire de grands groupes cherchant à optimiser leurs politiques de recrutement et d'évolution professionnelle pour leurs cadres à haut potentiel. « On leur fait remplir un questionnaire très fourni, explique Jacques Raduriau. Ils ne se doutent de rien car ils croient que c'est un test psychotechnique classique. » Une assertion impossible à vérifier, aucun numérologue n'acceptant de dévoiler l'identité de ses clients. On imagine mal, par ailleurs, un patron ou un DRH avouant ouvertement recourir à ce genre d'études. Seule exception, François Ceyrac. En 1988, l'ancien patron du CNPF affirmait, en préface d'un ouvrage sur la numérologie, que la « science des nombres » apportait « une contribution réelle au progrès de la civilisation de l'entreprise ». Tout un programme.

Recruter gagnant grâce aux astres

« Je trouve ça plus que très grave qu'on embauche des gens à partir d'études graphologiques, alors même que l'écriture est extrêmement aléatoire. » Catherine Lyr, coach et astrologue, parle en connaissance de cause. À ses débuts, elle a pratiqué la graphologie, puis abandonné. « C'est très pauvre par rapport à tout ce qu'on peut déceler dans un thème astral », assure cette ancienne comédienne, qui œuvre dans la capitale. Un avis partagé par sa consœur Hélène Mack, qui officie à Cannes. « L'écriture varie en fonction de votre forme. L'astrologie, elle, ne peut pas mentir. Avec la date, l'heure et le lieu de naissance d'un individu, on peut définir précisément ce qu'il a reçu comme énergie à la naissance, ou dresser son profil psychologique. »

Une méthode miracle qui séduit certains employeurs. Avant de recruter un commercial ou de constituer une nouvelle équipe, autant s'assurer du dynamisme du candidat, ou de la compatibilité des ascendants des futurs collègues… Seul impératif : la discrétion. « C'est toujours un secret. La personne dont on fait le thème n'est jamais au courant », confie Jossia Marainvil. Installée à Aix-en-Provence, cette taro-numéro-astrologue se targue d'avoir dans sa clientèle le patron d'une « très grosse entreprise de communication entrée en Bourse ». Une culture du secret totalement illégale. « Le candidat à un emploi est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'aide au recrutement utilisées à son égard », stipule l'article L. 121-7 du Code du travail, en précisant que celles-ci « doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».

L'étude des planètes aurait-elle envahi le monde du travail ? Certainement pas. Mais son utilisation ne serait pas non plus marginale, selon Christian Balicco, docteur en psychologie et auteur d'un livre sur les méthodes d'évaluation en ressources humaines. « Les gens ont tellement besoin d'entendre des paroles qui les rassurent qu'ils sont prêts à accorder du crédit à des méthodes simplistes, sans aucune base conceptuelle ou scientifique, pour peu qu'elles leur permettent de réduire l'incertitude ou l'angoisse. Cela vaut aussi, voire surtout, pour les grosses boîtes », assure-t-il. Et cet ancien consultant de citer l'exemple d'une grosse entreprise industrielle qui, pour recruter son chargé des relations entre les États-Unis et la France, a fait appel à un astronumérologue.

En matière d'irrationnel, impossible de dresser le portrait de l'entreprise utilisatrice type. Certes très minoritaires, les férus des astres se rencontreraient aussi bien dans des TPE que dans des multinationales, l'industrie pharmaceutique que l'hôtellerie-restauration. Seule tendance qui se dégage : les dirigeants qui sollicitent un astrologue dans un cadre professionnel seraient souvent d'anciens clients à titre personnel. Certains en viendraient même à se former, si l'on en croit Hélène Mack qui dit donner des cours d'astrologie à des DRH. « Ils ont ensuite une meilleure qualité d'écoute. Ils l'utilisent dans la gestion des conflits ou pour aider leurs collèges à dépasser leurs problèmes. » Catherine Lyr, elle, s'est lancée voilà deux ans dans l'« astrocoaching ». « L'astrologie, ça vaut de l'or pour accompagner un cadre qui n'atteint pas ses objectifs ou s'interroge sur son parcours professionnel », assure-t-elle.

Auteur

  • S.B.