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Enquête

1984/2004 LA SAGA DES RESSOURCES HUMAINES

Enquête | publié le : 01.11.2004 | Valérie Devillechabrolle, Sandrine Foulon, Catherine Lévi

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1984/2004 LA SAGA DES RESSOURCES HUMAINES

Crédit photo Valérie Devillechabrolle, Sandrine Foulon, Catherine Lévi

Aux oubliettes, les chefs du personnel, bienvenue aux DRH. En ce milieu des années 80, on innove chez Thomson, Renault et autres BSN. Mission de ces nouveaux directeurs des ressources humaines : adapter, restructurer et mobiliser les salariés. Depuis, ils n'ont cessé d'évoluer. À l'heure de la mondialisation et des délocalisations, les voilà devenus des « business partners ». Flash-back sur vingt années de RH.

1984, ce n'est pas seulement le livre culte de George Orwell. Cette année-là, une littérature d'un nouveau genre envahit les librairies. L'héroïne inattendue ? L'entreprise et ses troupes fraîchement baptisées en ressources humaines. En janvier paraît l'Entreprise du 3e type, de Georges Archier et Hervé Sérieyx, un hymne à la gloire de l'entreprise et de la mobilisation des salariés. Deux ans auparavant, aux États-Unis, Thomas Peters et Robert Waterman avaient publié leur Prix de l'excellence : encore un succès de librairie, qui analyse les huit leviers de la performance individuelle et collective. « C'est sans doute la première… et la dernière fois que des ouvrages sur les ressources humaines ont été des best-sellers », s'exclame Bruno Jarrosson, consultant chez Atlantic Intelligence, auteur lui-même de 100 Ans de management (éd. Dunod, 2000). On y croyait. Les RH entraient par la grande porte. Il y a donc vingt ans – bon anniversaire aux DRH ! –, la direction des ressources humaines tordait définitivement le cou à l'obsolète direction du personnel. Au rancart, les lieutenants-colonels en retraite reconvertis en chefs du personnel.

« Mon prédécesseur était un ancien technicien qui recrutait, administrait le personnel et mettait en œuvre le pouvoir disciplinaire », se souvient Max Matta, ex-DRH d'Aerospatiale et de Sextant Avionique, aujourd'hui chez Rhodia. Oublié, également, le quotidien rythmé par la gestion saisonnière des dossiers. Il y avait le temps de la négo annuelle, celui des élections, celui du plan de formation… À cette époque, on ne demande pas aux chefs du personnel de faire montre d'innovation ni d'être des business partners. Changement de cap au milieu des années 80. Les grandes entreprises (Pechiney, Thomson, Rhône-Poulenc en tête), et avec elles des DRH emblématiques, innovent, créent des modèles. Jean Léon Donnadieu et Antoine Riboud façonnent le social chez BSN (ex-Danone). Saint-Gobain a son José Bidegain, Renault son Michel Praderie, Usinor son Jean-Claude Georges François.

Mais cette période foisonnante ne doit rien au hasard. Ce besoin, y compris sémantique, de changer l'administration du personnel en GRH trouve ses racines dans l'aggravation de la crise économique. Les entreprises doivent revoir des organisations du travail peu productives pour s'adapter à une économie ouverte et de plus en plus internationale. Avec parfois comme corollaires les plans sociaux. Coup de massue, le dépôt de bilan de Creusot-Loire, en 1983, réveille les Français. « La sidérurgie, c'était comme les cathédrales : immortelles, poursuit Bruno Jarrosson. On découvre alors que l'emploi à vie n'existe pas. » Résultat, dans les entreprises, on cherche le salut dans la mobilisation des salariés. L'époque est au capital humain, au développement des compétences et à l'individualisation des rémunérations.

Les radieuses ou les piteuses ?

Vingt ans plus tard, l'enthousiasme est retombé. L'évolution de la GRH est loin d'avoir été un long fleuve tranquille. Les pratiques des DRH ont d'abord été influencées par les cycles conjoncturels et les enveloppes dont ils disposaient : « Au régime sec, les DRH ont tendance à se replier sur le noyau dur de leur métier composé de l'administration du personnel, des relations sociales et de la gestion des restructurations. Dotés d'enveloppes plus confortables, ils se montrent plus inventifs », explique par exemple Alain Hengsen, ancien consultant chez PricewaterhouseCoopers, aujourd'hui coresponsable de la nouvelle université d'entreprise d'EADS.

Mais ces vingt ans ont aussi offert aux DRH l'occasion de sortir du ministère des Affaires intérieures dans lequel ils étaient jusque-là cantonnés. « Dans une économie ouverte, les relations de l'entreprise ne se limitent plus à ses seuls salariés, mais s'élargissent à l'ensemble de la cité », rappelle Bernard Galambaud, enseignant à l'ESCP. Les DRH sont sortis de leur tête-à-tête avec des organisations syndicales franco-françaises pour non seulement accompagner l'internationalisation de leur groupe en créant des comités d'entreprise européens, mais aussi pour développer leurs relations avec leur environnement local, politique, judiciaire ou associatif et piloter une noria de consultants et autres prestataires extérieurs afin de les aider dans la gestion de leur propre centre de profit.

Au total, ces vingt ans leur ont permis de conquérir leurs galons de partenaires stratégiques, comme en témoigne leur présence accrue au sein des comités exécutifs. Toutefois, cette appropriation des contraintes du business n'est pas exempte de contradictions. Porteurs de l'utopie visant à « bâtir l'entreprise de demain avec les hommes d'aujourd'hui », les DRH sont souvent au quotidien obligés d'en rabattre, sous la pression de la course à la rentabilité financière de court terme. Au risque que la GRH ne s'attache qu'à une petite élite de cadres internationaux, comme certains le redoutent, tel Bernard Galambaud. D'autres sont plus optimistes et tablent sur le retour en grâce de la GRH à la faveur de l'apparition des premières pénuries de main-d'œuvre. « Des Trente Glorieuses, que je qualifierais de paresseuses, nous sommes passés dans les années 80 aux cahoteuses, suivies, après la première guerre du Golfe, des douloureuses, affirme Jean-Marie Peretti, professeur en GRH à l'IAE de Corse et à l'Essec. Avec la reprise, nous entamons les radieuses. » Que d'aucuns qualifient plutôt de « piteuses » au regard des délocalisations et de la précarité de l'emploi. Qui a raison ? Rendez-vous dans dix ans…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Sandrine Foulon, Catherine Lévi