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Politique sociale

« Sur les retraites, la CFDT a tactiquement mal joué »

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.11.2004 | Denis Boissard, Frédéric Rey

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« Sur les retraites, la CFDT a tactiquement mal joué »

Crédit photo Denis Boissard, Frédéric Rey

Edmond Maire, ancien numéro un de la CFDT, président de la Société d'investissement France active

Quel bilan tirez-vous des 40 ans de la CFDT ?

Notre grande victoire, c'est d'avoir contribué à l'éradication du mythe communiste et, pour reprendre l'expression d'Annie Kriegel, de la greffe bolchevique sur le mouvement ouvrier français. Dans les années 60, face à une CGT stalinienne et très largement majoritaire dans le paysage syndical, l'enjeu était de parvenir à libérer la classe ouvrière du carcan communiste. 1968 a été une date clé puisqu'elle marque la fin des grands idéaux, la fin du « je m'engage, je vais souffrir comme militant, mais ça n'est pas grave car mes enfants et petits-enfants auront un jour un avenir radieux ». Ces années ont vu naître une forte aspiration à la liberté et à l'individualisation, mais également un besoin de socialisation différent. Le mouvement associatif a pris une ampleur extraordinaire. La création de la CFDT correspondait en tout point à ce fort désir d'émancipation et d'autonomie syndicale vis-à-vis des partis politiques, des écoles de pensée et de la religion. La charte d'Amiens sur l'indépendance syndicale reste la référence première des mes jeunes classes syndicales.

Qu'est-ce qui vous a amené en 1977 à décider ce tournant majeur pour la CFDT qu'a été le recentrage ?

Deux éléments ont été déterminants. C'est d'abord la nécessité de contrer les militants gauchistes qui voulaient prendre la tête des luttes et contrôler l'organisation. Certains en mal de certitudes découvraient le marxisme avec ravissement. Ces phénomènes touchaient surtout des permanents, davantage que la masse des adhérents ou des militants. Pendant deux à trois ans, je me suis senti à la tête d'un bateau ivre. Je ne partais jamais trop loin ni trop longtemps tant le sol était mouvant. Il fallait constamment resserrer les boulons et rééquilibrer le secrétariat confédéral. Le deuxième facteur, c'est le programme commun de gouvernement adopté par le parti socialiste et le parti communiste en 1972. Alors que nous avions une activité syndicale forte dans les entreprises, voilà des politiques qui nous disaient : « Nous avons un programme, votez pour nous et nous changerons votre vie. » La CFDT souhaitait bien sûr un changement de majorité en France. Il y avait suffisamment longtemps que la droite était au pouvoir, pour la plus grande satisfaction du CNPF. Mais que ces évolutions soient décidées et opérées de façon centralisée par l'État, voilà qui était très loin de notre vision syndicale. Le recentrage, c'était avant tout faire de l'action syndicale le moteur du changement en refusant toute priorité à l'action politique. Cette nouvelle orientation a été la source d'un très fort clivage au sein de la CFDT, certains trouvant que l'organisation n'évoluait pas comme ils le souhaitaient.

Quelles ont été les conséquences de l'arrivée de la gauche au pouvoir ?

La CFDT avait mûri un certain nombre de réformes, notamment sur la liberté syndicale dans l'entreprise, le droit d'expression et les conditions de travail. Nous avons donc fait en sorte qu'elles soient reprises par la nouvelle majorité. Mais le gouvernement ayant décidé de tout changer par la loi, nous avons été relégués dans un rôle secondaire. La désyndicalisation n'a rien arrangé. En France, nous souffrons de forces sociales trop faibles et les pouvoirs politiques ne parviennent pas à admettre que la société civile joue pleinement son rôle. L'exemple des 35 heures est caricatural. Qu'un Parlement dicte la façon dont il va falloir organiser les petites et grandes entreprises, c'est une pensée archaïque qui vient d'un autre siècle.

Cette culture étatiste imprègne-t-elle seulement la gauche ?

Non, la droite et le patronat français n'échappent pas à ce travers. Après avoir fait espérer un vaste chantier de négociations au nom de la « refondation sociale », lorsque la gauche était au pouvoir, le Medef se tourne aujourd'hui vers le gouvernement de droite pour qu'il mène des réformes à son profit en recourant à la loi. Bref, nous sommes repartis pour un tour. Des dirigeants de grande entreprise critiquent l'attitude du Medef et estiment que les évolutions nécessaires devraient être menées par la voie de la négociation. Ils ne sont pas entendus.

La CFDT vit des moments difficiles. Comme si elle avait du mal à concilier sa mission première de défense des salariés et son souci de prendre en compte l'intérêt général…
RAFAEL TRAPET/ALEPH

Ces contradictions ont toujours existé. Mais la situation est devenue plus complexe aujourd'hui. La CFDT doit user de beaucoup de pédagogie, particulièrement vis-à-vis du secteur public et de certains milieux de fonctionnaires. C'est ce qui a fait défaut au moment de la réforme des retraites. Le soir même de l'annonce de l'accord trouvé avec le gouvernement, j'ai glissé un mot à la commission exécutive pour les féliciter sur le fond, mais en prévoyant aussi qu'ils allaient souffrir à cause de la façon dont l'accord avait été conclu. En apparaissant comme le syndicat qui avance en solo et lâche la CGT, la CFDT a tactiquement mal joué. Malgré tous les efforts de la CFDT, la CGT n'était pas prête à bouger. Malheureusement, ce n'est pas cette réalité qui a été vécue par l'opinion et par les militants, lesquels ont commencé à s'interroger sur l'orientation réformiste de la CFDT. La volonté de négocier et de parvenir à un accord a occupé tout le champ au détriment d'une réflexion sur le sens de l'action. Si la commission exécutive se plonge aujourd'hui avec les militants dans des réflexions sur les objectifs et les moyens du réformisme, je dis bravo ! Ils renouent avec les vertus du débat, qui s'étaient peut-être un peu perdues.

Croyez-vous possible une recomposition du paysage syndical ?

S'il y a un changement à attendre dans le syndicalisme, il doit venir de la CGT, parce qu'elle n'a plus de doctrine. Je l'espère beaucoup mais je ne vois rien venir. La CGT épouse un peu le langage de la rénovation mais, dans les faits, elle ne bouge pratiquement pas. Je crois que la CGT n'a pas une culture du débat, contrairement à la CFDT où ça bataille dur dans les congrès. Son bureau confédéral est freiné dans sa volonté d'évolution par la crainte d'une cassure interne, par la peur de ne pas parvenir à dépasser les désaccords. Du coup, l'immobilisme domine. Mais il y a aussi des raisons d'espérer, notamment avec l'ouverture de la CGT à l'Europe. Pour se renouveler, le syndicalisme français a tout intérêt à s'appuyer sur la Confédération européenne des syndicats et à s'ouvrir aux pratiques syndicales des autres pays. Notre syndicalisme souffre d'être resté trop longtemps autocentré. Les divisions françaises pourront être surmontées par un dialogue régulier et la recherche de terrains d'entente. Mais il ne faut pas espérer une fusion organique des syndicats, notamment entre la CGT et la CFDT.

Voyez-vous des raisons d'espérer dans le syndicalisme français ?

Je suis frappé par son manque d'ambitions et d'objectifs de transformation. Sans doute faut-il avoir du courage pour vouloir modifier les choses en profondeur. On voit bien à quel point une telle démarche est vécue comme périlleuse dans le secteur public. Au plan international, on peut espérer des perspectives plus novatrices. La recherche d'une autre mondialisation, la montée en puissance des ONG font émerger une autre pensée sur l'avenir. Ce mouvement est un creuset possible pour de nouvelles ambitions.

Le syndicalisme international pourrait commencer à jouer un rôle important car il est le plus proche de ces préoccupations désormais transnationales. Reste au syndicalisme français à prendre part à ces évolutions.

Auteur

  • Denis Boissard, Frédéric Rey