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Des acteurs désormais responsables

Dossier | publié le : 01.12.2004 | F.L.

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Des acteurs désormais responsables

Crédit photo F.L.

Ramener la Sécu à l'équilibre en 2007… Pour atteindre cet objectif ambitieux, le gouvernement n'entend pas seulement responsabiliser les assurés. Consacrés acteurs à part entière du système de santé, les assureurs complémentaires sont également priés de modifier leurs pratiques. Les contrats conclus dans le cadre des entreprises ont jusqu'au 1er janvier 2006 pour devenir « responsables ».

Les contrats collectifs ont eu chaud. Lors de la réforme de l'assurance maladie adoptée cet été par le Parlement, le gouvernement Raffarin n'aura finalement pas suivi les recommandations de Jean-François Chadelat. Chargé d'une réflexion sur l'articulation entre régime obligatoire et assureurs complémentaires, cet inspecteur général des affaires sociales préconisait, dans un rapport remis au printemps 2003, de créer une aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, et surtout de la financer par la suppression des avantages fiscaux et sociaux dont bénéficient les contrats frais de santé souscrits dans le cadre de l'entreprise. Une proposition unanimement rejetée par les partenaires sociaux qui ont réaffirmé, à cette occasion, leur attachement à la prévoyance collective. Généralement discret, le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) s'est même fendu d'une campagne de communication pour expliquer tout l'intérêt d'une couverture santé collective, généralement abondée par l'employeur.

Sans « deuxième étage », point de salut

La loi du 13 août 2004 n'en a pas moins retenu l'idée de favoriser l'accès à une complémentaire santé. La réforme confirme ainsi ce que l'on savait depuis la mise en place de la CMU pour les plus démunis, qui comprend une couverture de base et une couverture complémentaire, toutes les deux gratuites : sans assurance complémentaire, point de salut, en France, pour l'accès aux soins. Certes, contrairement à beaucoup d'idées reçues, la part du régime de base dans le financement des dépenses de santé est restée stable (environ 75 %) depuis le début des années 80. Mais, sur des postes comme l'optique ou les soins dentaires, les remboursements de la Sécu sont généralement très inférieurs à ceux des mutuelles ou des assureurs privés.

Sauf à instaurer de nouveaux prélèvements pour accroître le niveau de prise en charge du régime obligatoire, l'État se devait donc d'aider une partie des Français à acquérir ce niveau de couverture supplémentaire, souvent appelé « deuxième étage », pour favoriser l'accès aux soins. Concrètement, le dispositif retenu n'a de crédit d'impôt que le nom. Il s'agit d'une aide financée par l'assurance maladie, versée sous conditions de ressources, qui varie en fonction de l'âge. Elle s'élève à 75 euros pour les moins de 25 ans, à 150 euros pour les personnes âgées de 25 à 59 ans et à 250 euros à partir de 60 ans.

Pas de remboursement au premier euro

Hormis cette innovation, la réforme de l'assurance maladie a d'autres incidences sur les contrats collectifs. Selon la logique qui prévaut désormais, l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires sont liés pour le meilleur, favoriser l'accès aux soins du plus grand nombre, comme pour le pire, ou le plus dur, c'est-à-dire maîtriser les dépenses de santé. Jean-François Mattei, qui a lancé la réforme, comme Philippe Douste-Blazy, qui l'a achevée, ont clairement refusé une dissociation des deux régimes. Pas question d'accepter, comme le demandait la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), que les organismes complémentaires se recentrent sur la prise en charge au premier euro de certains domaines « sans enjeu vital », c'est-à-dire essentiellement l'optique, les prothèses auditives et les soins dentaires. À cet égard, la petite phrase de Jacques Barrot, alors président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, sur la nécessité de distinguer « petits risques » et « gros risques », avait suscité un véritable tollé.

Bref, on garde le cadre de la Sécu à la française où, selon la formule consacrée de l'ancien président de la Cnam, Jean-Marie Spaeth, « chacun verse selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ». Et le cofinancement du régime de base et des assureurs complémentaires sur la prise en charge des soins reste la règle. Seulement, et c'est bien là tout l'enjeu de la réforme, ce système, qui repose sur la solidarité et un niveau de couverture élevé, ne saurait survivre longtemps à une croissance des dépenses de santé bien supérieure à l'évolution du PIB. Les recettes de la précédente réforme de 1996 ayant échoué, le gouvernement fait cette fois le choix d'une responsabilisation des acteurs et des assurés. Ce qui signifie, plus concrètement, arrêter de rembourser n'importe quelle dépense et ne plus laisser le patient multiplier les consultations.

À partir de là, logiquement, l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires, qui remboursent les mêmes « assurés clients » et sont confrontés aux mêmes prescripteurs de dépenses, les professionnels de santé et les hôpitaux, sont invités à coordonner leur action de maîtrise des dépenses. Aux côtés de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et de l'Union nationale des professions de santé (UNPS), la loi du 13 août 2004 crée ainsi une Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie, composée des représentants des mutuelles, des institutions de prévoyance et des sociétés d'assurance.

Fait majeur, cette nouvelle Unocam pourra être associée à la politique conventionnelle, c'est-à-dire aux négociations menées par l'assurance maladie de base avec les professions de santé. Or, dans les mois à venir, l'enjeu de ces discussions, traditionnellement heurtées, ne sera pas seulement de fixer le tarif des actes mais d'arrêter les conditions de mise en œuvre des nouveaux outils de la maîtrise dite médicalisée des dépenses de santé tels que le médecin traitant ou le dossier médical personnel.

Un cahier des charges à respecter

Le régime obligatoire est, par ailleurs, tenu de solliciter l'avis de l'Unocam avant de déterminer le taux de remboursement des médicaments ou de décider de prendre en charge de nouveaux actes ou prestations. Avec ces mesures, il s'agit de mettre fin à une situation où les assureurs complémentaires n'avaient pas voix au chapitre sur des décisions dont ils subissaient pourtant les conséquences financières. On pense ainsi à la baisse des taux de remboursement des médicaments jugés peu efficaces au cours des dernières années ou encore au passage, en 2002, de la consultation des généralistes à 20 euros.

Mais, en contrepartie, les assureurs complémentaires sont priés de soutenir les efforts de régulation du régime de base. Pas question de phagocyter par des prises en charge tous azimuts les changements de comportement attendus des patients. Si les complémentaires se mettent à rembourser les dépassements d'honoraires que les spécialistes auront le droit de pratiquer pour les patients qui les consultent directement, tout le dispositif du médecin traitant s'en trouverait fragilisé. Dans cet objectif, la réforme prévoit qu'à compter du début de l'année 2006 les contrats devront respecter un cahier des charges dont le contenu sera précisé par décret en janvier prochain. On sait simplement, à l'heure actuelle, qu'il exclut le remboursement de l'euro dont les assurés devront s'acquitter à chaque consultation, participation financière censée modérer le recours aux médecins. Les entreprises auront donc un an pour revoir leurs garanties frais de santé. À défaut, elles perdront les avantages fiscaux et sociaux consentis aux contrats collectifs.

Le défunt crédit d'impôt

Cette articulation entre l'obligatoire et le complémentaire s'inspire largement du projet défendu par la Mutualité française et la CFDT, à deux exceptions de taille. La Mutualité et la CFDT prônaient une réelle cogestion de la couverture santé et la mise en œuvre d'un crédit d'impôt digne de ce nom pour contraindre le marché à adopter une attitude responsable sur la régulation des dépenses. De fait, ce mécanisme fiscal devait s'adresser à tous ceux qui souscrivent un contrat responsable et ne bénéficient pas aujourd'hui d'une aide de l'État pour l'acquisition de leur complémentaire santé – selon la Mutualité, près de 50 % des assurés percevraient une aide des pouvoirs publics, qu'il s'agisse d'un contrat collectif, de déductions fiscales pour les professions indépendantes ou des bénéficiaires de la CMU. Étant donné le coût de cette mesure, estimé à plusieurs milliards d'euros, on comprend mieux dans le contexte budgétaire actuel que le gouvernement ait opté pour une solution sensiblement mois onéreuse.

Officiellement, assureurs, mutuelles et institutions de prévoyance jurent qu'ils joueront le jeu des contrats responsables. Mais certains doutent que les contraintes prévues par la réforme soient suffisantes pour rompre l'inflation des garanties ou les pratiques irresponsables. « Il y a une niche pour les contrats individuels haut de gamme qui restera rentable même avec une taxe de 7 % », souligne un dirigeant mutualiste. Du côté des contrats collectifs, plusieurs opérateurs relèvent qu'il sera bien difficile d'aller contre la demande des entreprises. Plus largement, ce fin connaisseur pointe le danger d'une segmentation renforcée des couvertures avec le développement de garanties prenant en charge uniquement l'optique ou le dentaire. « Les organismes complémentaires sont confrontés au lendemain de la réforme à un choix : leur priorité doit-elle être de répondre à la demande de leurs clients ou de nous aider à structurer l'offre de soins ? Leur réponse aura des incidences sur la définition des contrats solidaires », prévenait récemment Xavier Bertrand, secrétaire d'État à l'Assurance maladie.

Difficile de gérer efficacement le risque

Cela dit, les complémentaires renvoient aussi la balle au gouvernement. Lors d'un colloque organisé en juin dernier, la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) a, de nouveau, plaidé pour un meilleur accès à l'information. « Pas de qualité sans accès aux données de santé », a justifié Gilles Johanet, président du comité maladie de la FFSA. Si la Sécu ne sait pas toujours précisément ce qu'elle rembourse, les assureurs complémentaires s'avèrent plus encore des « payeurs aveugles ». Sur les médicaments, par exemple, ils disposent en tout et pour tout du taux de prise en charge du régime de base. Difficile, dans ces conditions, de pratiquer une gestion du risque efficace.

Cependant, d'ici à la fin de l'année, plusieurs expérimentations doivent être menées sur l'anonymat des données ou leur transmission avec consentement de l'assuré. Et Christian Babusiaux, conseiller à la Cour des comptes, qui a préconisé ces deux solutions dans un rapport remis au ministre de la Santé, a lancé cet avertissement clair aux opérateurs : « C'est un sujet majeur pour l'évolution du système de santé, mais pour progresser gardons-nous de l'excès. »

L'impact des normes comptables

Au-delà de la loi du 13 août réformant l'assurance maladie, un autre facteur risque de conduire les DRH à revoir en profondeur la couverture complémentaire santé de leurs salariés : l'introduction des nouvelles normes comptables IAS/IFRS (voir Liaisons sociales Magazine n° 54). Limitée aux sociétés cotées à compter du 1er janvier 2005, l'application de ces nouvelles règles se généralisera par la suite à toutes les entreprises. Et les engagements à provisionner seront d'autant plus lourds que l'assurance maladie continuera à se désengager.

Comme le soulignait Raymond Soubie, président d'Altedia, en ouvrant le colloque organisé par le groupe Liaisons au Sénat le 12 octobre dernier, « les risques de conflits pourraient se multiplier entre la nécessité de mettre en place des régimes collectifs pour maintenir les salariés âgés dans les entreprises et les contraintes nouvelles qui pèseront sur ces dernières ». F.C.

Auteur

  • F.L.