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La fête est finie pour les salariés de Sony et d'Universal

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.01.2005 | Frédéric Rey

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La fête est finie pour les salariés de Sony et d'Universal

Crédit photo Frédéric Rey

Faisant face à une crise du disque sans précédent, les deux majors sont contraintes de serrer les boulons. Mais si, chez Universal Music, les dégraissages s'effectuent dans la résignation, chez Sony, label doté d'une vraie DRH, les salariés s'organisent pour suivre le plan social et la fusion avec BMG. Au point de créer des sections syndicales dans ce métier à paillettes.

Céline Dion et Britney Spears chantent désormais pour le même patron. Car les producteurs respectifs de la reine canadienne de la variété et de la pop-star américaine, Sony et BMG, ne font plus qu'un. Ce mariage, officialisé en 2004 mais opérationnel cette année, réunit d'autres artistes de la variété française et étrangère : Patrick Bruel, Pascal Obispo, Jean-Jacques Goldman, Lara Fabian, Christina Aguilera, Whitney Houston… De quoi inquiéter Universal Music, qui a perdu au passage sa place de numéro un mondial. Mais la filiale du groupe VU garde toutefois une longueur d'avance sur le marché français avec 35 % des parts, contre 31 % pour Sony-BMG. Dans un contexte d'effondrement des ventes de disques, la major française limite les dégâts grâce, notamment, aux ventes générées par la « Star Ac ». Malgré ces succès, l'industrie du disque est confrontée à une crise sans précédent.

Après avoir touché les États-Unis, le marasme gagne la France. En 2004, les ventes ont chuté de 20 % environ – après 15 % en 2003. Résultat : les artistes qui ne vendent pas suffisamment de CD sont remerciés tandis que les licenciements se multiplient dans les maisons de disques. Pour la première fois, entre 300 et 400 salariés des quatre grandes majors et de labels indépendants ont manifesté en juin 2004 devant le ministère de la Culture pour alerter les pouvoirs publics sur le naufrage de l'industrie du disque.

Un pays de cocagne

« Les explications présentant le piratage par Internet comme la cause de nos problèmes arrangent bien nos dirigeants, mais ce n'est certainement pas l'unique raison, note Yves Vincent, délégué syndical CGC d'Universal Music. Une chose est certaine, nous avons tous mangé notre pain blanc. » Il y a encore moins de dix ans, entrer dans une maison de disques, c'était décrocher un aller simple pour le pays de cocagne. « Les salaires n'ont jamais été mirobolants, tempère Vincent, chef de produit chez Universal, mais nous avions tous les ans des augmentations et des primes. C'était surtout un climat de fête permanent. Chaque sortie de disque était prétexte à s'amuser. »

Même euphorie chez Sony : « Tout le monde était heureux de travailler dans une major, souligne Thierry Brun, délégué syndical CFDT. Lors des plus gros succès de Céline Dion, notre participation explosait pour atteindre l'équivalent de trois mois de salaire. C'était trop beau pour durer. » L'âge d'or est effectivement révolu. Même si diplômés de l'université ou d'écoles de commerce sont toujours nombreux à vouloir embrasser une carrière dans ce métier. Des stagiaires qui représentent jusqu'à 10 % de l'effectif des labels. Du coup, la concurrence est rude et les jeunes prêts à tout. « Ces stages peuvent durer deux ans, payés entre 25 et 30 % du smic, soit environ 305 euros mensuels, et personne ne laisserait sa place à quelqu'un d'autre », explique un responsable marketing. « Beaucoup de ces jeunes perdent prise avec la réalité, estime Élisa, salariée d'Universal, ils sont complètement envoûtés par les paillettes du show-biz et ne conçoivent pas de travailler ailleurs. » Leur engouement pour le métier du disque est une vraie aubaine pour les directions, qui ne peuvent plus se passer de ces stagiaires. « C'est une main-d'œuvre qui ne coûte pas cher mais ce sont des stages réellement formateurs », reconnaît Marielle Mignien, DRH de Sony.

Le CDI est rarement au bout du stage. Depuis deux ans, les deux majors resserrent les boulons. L'heure est aujourd'hui aux plans de rationalisation, mais avec des approches très différentes. Car, à la tête de ces deux entreprises, les styles de management sont très contrastés. P-DG de Sony Music France, Olivier Montfort a fait ses armes dans la distribution, à la Fnac, puis au Virgin Megastore, d'où il a été débauché en l'an 2000. « Que dire sur notre patron ? Pas grand-chose, il a un profil de gestionnaire, c'est une personnalité plutôt discrète », observe Thierry Brun, de la CFDT. On ne peut pas en dire autant de Pascal Nègre, son homologue d'Universal. S'il décrit souvent son entreprise comme un agglomérat de petites maisons artisanales, ce quadragénaire n'a rien d'un plombier. Charismatique et extraverti, Pascal Nègre, qui a commencé sa carrière comme DJ sur une radio, n'hésite pas à se présenter à ses salariés comme la « reine de la ruche ».

Le petit monde de Pascal Nègre
UNIVERSAL MUSIC FRANCE Chiffre d'affaires : 373,1 millions d'euros en 2003. Part de marché 33 %. 700 salariés.

S'il existe une DRH pour le personnel d'Antony, où sont installés les services dits support de la maison de disques, le site du Panthéon est son domaine réservé. « Il draine derrière lui une petite cour d'admirateurs, du stagiaire au directeur de label. Ils sont parfois tellement subjugués qu'ils copient ses gestes et manières d'être », raconte Bertrand Castellani, un ancien salarié. « C'est un personnage totalement scotchant, déclare un chef de produit. Il est doté d'une intelligence et d'un flair artistique hors du commun. » Pascal Nègre règne sur son petit monde, interdisant à ses salariés de s'exprimer devant la presse (après de multiples sollicitations, la direction d'Universal n'a d'ailleurs donné aucune suite à nos demandes d'entretien).

Lors des négociations sur les 35 heures chez Universal, quand les discussions ont bloqué sur la fixation des jours de RTT, Pascal Nègre est intervenu en décrétant que les salariés pourraient choisir librement six des douze jours accordés. Et lui-même déciderait pour l'autre moitié. « Il est paternaliste et cinglant, assure Yves Vincent, de la CGC. Il est capable de vous embrasser le matin et de vous virer le soir. » De fait, autant Sony est doté d'une gestion des ressources humaines structurée, autant le fonctionnement d'Universal s'apparente à celui d'une PME. « Chez nous, la gestion des jours de congé et de RTT est informatisée, souligne Éric Guillemaud, délégué syndical CGC de Sony. Chez Universal, même l'annuaire téléphonique interne est encore sur papier. »

Recruté sur une péniche

Bertrand Castellani, qui a travaillé dans les deux entreprises avant de rejoindre un distributeur indépendant, a mesuré le fossé. « Lorsque j'ai été embauché par Sony, j'ai eu trois entretiens successifs avec la DRH, mon responsable hiérarchique et le vice-président de la société. Ma lettre de candidature a même fait l'objet d'une analyse graphologique. Alors qu'Universal m'a recruté lors d'une soirée sur une péniche à l'occasion du lancement d'un album d'André Rieu. Le patron du label classique m'a fait une proposition sur un coin de table. »

Dans les maisons de disques, deux familles de métiers se côtoient. Il y a d'abord la partie artistique, le cœur de l'entreprise. C'est là, dans une poignée de labels spécialisés dans la variété, le rock, le classique, le jazz, que les artistes sont pris en main, de la production de leurs œuvres jusqu'à la promotion. Le label a son propre patron, ses chefs de produit, son directeur artistique, ses attachés de presse, ses assistants. « Leur poids dans l'entreprise est très fort, souligne Éric Guillemaud, de Sony ; chaque personne est fière d'appartenir à son label. Il existe d'ailleurs plus de mobilité en leur sein qu'entre les différents labels. »

L'autre grande famille de métiers rassemble toutes les activités de support qui regroupent essentiellement administratifs et commerciaux, ainsi qu'une activité de distribution chez Universal. Un monde professionnel bien différent de la partie artistique. À Antony, dans les Hauts-de-Seine, un vaste bâtiment noyé dans une zone industrielle abrite les salariés des services support, au profil plutôt classique. Rien à voir avec l'ambiance du Panthéon. À deux pas du célèbre monument, Universal loge les labels dans un bel immeuble haussmannien, où l'ambiance tient du hall de fac. « Les gens du Panthéon ont en moyenne une trentaine d'années, ils sont parisiens, célibataires, et changent fréquemment d'entreprise », explique Yves Vincent, délégué CGC et informaticien à Antony.

De la standardiste au P-DG, le dress code veut qu'on soit looké jeune et décontracté. « Venir travailler en costume, raconte un chef de produit, est aussi incongru que de débarquer au siège d'une banque en baggy avec un piercing à chaque oreille. » Un cadre d'Antony de passage au Panthéon n'a pas gardé longtemps sa cravate : le P-DG qu'il a croisé dans l'ascenseur lui a demandé de la retirer. « Pour les salariés des labels, poursuit Yves Vincent, nous sommes sur une autre planète. D'ailleurs, ils nous appellent l'usine. Si une personne est mutée à Antony, elle le ressent comme une punition. »

Chez Sony, cette coupure culturelle existe aussi, mais elle n'est pas accentuée par une séparation géographique. Même avant le récent déménagement, tout le monde travaillait au même endroit. En septembre 2004, Sony a quitté Paris pour s'installer à Clichy, dans un bâtiment moderne, baigné de lumière, mais avec une vue imprenable sur les barres HLM. « Tout le monde regrette la place Wagram, souligne Marielle Mignien, la directrice des ressources humaines, mais en déménageant, notre loyer a été divisé par deux. »

Individualistes et non syndiqués

Chez Universal, et pour les mêmes raisons d'économies, un projet de rassemblement de toutes les activités dans un seul et même site à Saint-Cloud a semé l'agitation en 2004 dans cette entreprise où la mobilisation collective n'est pourtant pas inscrite dans les gènes. « Personne n'a envie de changer, note Yves Vincent, informaticien, ni ceux d'Antony qui ont acheté un logement dans les environs ni ceux du Panthéon qui ne veulent pas sortir de la capitale. Mais impossible de mener une action commune. Les représentants du Panthéon sont arrivés en réunion avec une carte Mappy entre les mains en pointant le manque de bars et de commerces. Ils ne sont pas syndiqués et extrêmement individualistes. Heureusement, le projet est tombé à l'eau. »

En revanche, les restructurations sont en permanence d'actualité. Premiers touchés : les commerciaux, victimes de l'extension de la grande distribution et de la disparition progressive des petits disquaires. « La société a regroupé ses agences, entraînant en 2004 la suppression de 22 emplois, souligne Yves Vincent. Les réorganisations s'étendent maintenant à d'autres services. Nous avons désormais un pool d'assistantes à nous partager. Le nombre d'intérimaires et de samedis travaillés a été divisé par quatre. Malgré cela, notre chiffre d'affaires est redescendu au niveau de celui de l'année 1998, mais avec 10 % de personnel en plus. Comment allons-nous éviter une autre restructuration ? »

« Climat complètement parano »

La partie artistique n'est pas épargnée. Les têtes tombent les unes après les autres. « Selon nos informations, explique Yves Vincent, de la CGC, il y a eu 40 licenciements individuels sur le site parisien. Mais nous l'apprenons toujours trop tard car tout se fait de gré à gré avec une transaction à la clé. » S'il réclame des sanctions contre les internautes qui téléchargent illégalement des fichiers musicaux, le patron d'Universal s'affranchit allégrement des règles en vigueur dans le domaine du travail, notamment sur les licenciements collectifs. Alexandre, chef de produit, confirme : « Le climat est complètement parano en ce moment. Tout le monde est déstabilisé, d'autant qu'il n'y a aucun signe annonçant sa prochaine éjection. En retournant à mon bureau, je vais peut-être apprendre que je suis viré. »

Si détestable que puisse être le climat social chez Universal, l'heure est plutôt à la résignation qu'à la rébellion. « Tout le monde admet implicitement ce dégraissage sauvage, constate un chef de produit. On finit par s'y habituer. Pour autant, je ne voudrais pas que des syndicats négocient à ma place. Si j'étais licencié, je préférerais m'adresser directement à un avocat. » Et il n'y a guère que Johnny Hallyday, qui a dénoncé les termes de son contrat, pour traîner Universal devant les prud'hommes.

Chez Sony, un premier plan social a été lancé en 2001 pour la seule force de vente. « Nous surveillons de très près notre masse salariale, quitte à gérer une certaine pénurie de personnel lorsque l'activité est forte, mais nous avons évité d'autres licenciements dans les moments creux », précise la DRH, Marielle Mignien. Plus pour très longtemps avec la fusion entre Sony et BMG. « Que vont devenir les labels, les services en doublon ? Ces incertitudes sont source de tensions », observe Anne Kargayan, déléguée CGT de BMG. « Nous savons qu'un plan social va être annoncé. La question est de savoir quand », ajoute Éric Guillemaud, de la CGC de Sony.

Depuis l'annonce de la fusion, les salariés commencent à s'organiser en créant des sections syndicales jusqu'alors inexistantes : CFDT et CGC chez Sony, CGT chez BMG. Leur mobilisation a contraint la direction à prendre des engagements sur les modalités du rapprochement. L'accord permet aux deux CE de fonctionner jusqu'à la fin 2005. Et surtout, « il maintient notre convention collective de l'édition musicale alors que Sony se contente d'appliquer le Code du travail », précise Anne Kargayan Les indemnités de licenciement sont par exemple bien plus avantageuses chez BMG que chez Sony.

Même traitement

« Nous avons obtenu que tous les salariés soient traités de la même manière, poursuit la syndicaliste. Ils pourront bénéficier des mesures les plus favorables quelle que soit leur entité d'origine. »

Dans ce climat morose, les chiffres récents d'outre-Atlantique indiquant une remontée des ventes de disques mettent un peu de baume au cœur des salariés. Mais cette hypothétique embellie ne devrait pas entraver la mutation structurelle que connaît le secteur. « Notre activité s'est industrialisée au détriment de la création, analyse Thierry Brun, délégué CFDT de Sony. 40 % des dépenses passent désormais dans le marketing. Les majors ne prennent plus de risques artistiques. On les sent moins à l'affût de nouveaux talents. »

Pour Bertrand Castellani, dorénavant cadre dans une petite société de distribution de musique classique, l'irruption d'Universal dans les programmes de téléréalité comme la « Star Academy » ou « À la recherche de la nouvelle star » a des répercussions profondes : « Avec l'intrusion de la télévision dans la production, les directeurs artistiques sont progressivement dépossédés de leurs choix artistiques et de leur capacité à flairer les nouveaux artistes. Ils perdent en influence. Un jour, ces majors ne seront plus que des entreprises à marketing. » Au risque de briser les dernières illusions de leurs jeunes salariés.

Une seule convention en vue

La crise de l'industrie du disque aura au moins eu le mérite de pouvoir mettre autour d'une table employeurs et syndicats du disque. Depuis la grève du mois de juin, qui a rassemblé entre 300 et 400 manifestants devant le ministère de la Culture, les syndicats ont obtenu de la part des organisations patronales, le Snep et l'Upfi, une négociation sur une convention collective unique. Actuellement, les 5 000 salariés du secteur dépendent soit de la convention collective de la métallurgie (héritage de l'époque où les supports phonographiques étaient fixés sur des cylindres métalliques), soit de celle de l'édition musicale. « L'idéal était de pouvoir faire bénéficier l'ensemble du secteur de cette convention de l'édition », souligne Martine Zuber, de la Fédération CFDT communication et culture. Pour cela, les syndicats se sont appuyés sur une jurisprudence « Sheila ». Les faits remontent à l'époque où Sheila, de son vrai nom Annie Chancel, travaillant en qualité de conseillère artistique pour la société Les Productions Carrère, avait été licenciée économique. La « petite-fille de Français moyens » avait saisi la justice pour réclamer l'application de la convention de l'édition musicale dont l'indemnité de licenciement s'élève à un mois de salaire par année d'ancienneté. Les juges du Quai de l'Horloge avaient donné raison à la chanteuse. Mais aujourd'hui la donne a changé. Le métier évoluant, le marché de la musique est de plus en plus divisé en deux professions distinctes : l'édition musicale, qui consiste à gérer les droits attachés à une œuvre, et l'édition phonographique centrée sur la production. « Il nous a finalement semblé hasardeux de prétendre que les maisons de disques étaient tenues d'appliquer cette convention », précise Martine Zuber.

Les partenaires sociaux ont donc prévu de se revoir en ce début d'année pour commencer à élaborer une convention collective spécifique aux métiers de l'édition phonographique.

Héritage des anciens modes de fabrication des disques, une partie des salariés du secteur relève de la convention de la métallurgie, l'autre de l'édition musicale.LUDOVIC/REAPascal Nègre, ancien DJ et charismatique président d'Universal Music, dirige son entreprise avec le paternalisme d'un patron de PME.LELLUCH/WPA/SIPA PRESS

Auteur

  • Frédéric Rey