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Et si Blair avait raison ?

Repères | publié le : 01.06.2005 | Denis Boissard

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Et si Blair avait raison ?

Crédit photo Denis Boissard

Sacré Tony Blair ! Malgré l'hostilité des Britanniques à son engagement dans le conflit irakien, le leader du Labour a réussi la prouesse de se faire réélire pour un troisième mandat au 10, Downing Street. Une première dans l'histoire du Royaume-Uni… à faire pâlir d'envie des responsables politiques hexagonaux habitués depuis plus de vingt ans, une fois parvenus au pouvoir, à se faire balayer au scrutin législatif suivant. Persuadés de détenir le meilleur modèle social de la planète, en dépit de ses médiocres performances, les Français et leur classe politique ont pris l'habitude de diaboliser le New Labour et sa politique « néolibérale ». Ils seraient pourtant bien inspirés de s'interroger sur les raisons de cette insolente réussite politique. C'est en effet largement sur son bilan économique et social que le pouvoir travailliste a bâti sa victoire. Et, à cet égard, la comparaison entre les résultats obtenus d'un côté et de l'autre de la Manche tourne au Waterloo social pour la France.

Le chômage ? Avec 4,6 % de la population active, le taux britannique – qui a reculé d'un tiers depuis l'arrivée de Tony Blair en 1997 – est au plus bas depuis trente ans et quasiment au niveau du plein-emploi. En France, le chômage a une nouvelle fois franchi à la hausse le seuil des 10 %, auquel il est durablement scotché depuis vingt ans, soit un taux deux fois plus élevé qu'outre-Manche. L'emploi ? Le taux d'emploi de la population en âge de travailler est au Royaume-Uni supérieur de dix points à celui de la France : 72 % contre 62 %, soit un déficit de quelque 4,5 millions de jobs au détriment de l'Hexagone.

Les salaires ? Les Britanniques n'ont plus à en rougir. D'abord, parce que Tony Blair a instauré en 1999 un salaire minimum dont le montant, aujourd'hui comparable au smic hexagonal (4,80 livres brut l'heure, soit 6,99 euros, avec des cotisations salariales très modiques, contre 7,61 euros en France et 20 % de cotisations salariales), devrait être revalorisé de 5,2 % en octobre 2005 puis de 6 % en octobre 2006. Ensuite, parce que la faiblesse du chômage dope les rémunérations : alors qu'il stagne en France, le pouvoir d'achat s'est accru de 10 % depuis 2001 au Royaume-Uni. Le niveau de vie ? La richesse par habitant est supérieure de 6 % outre-Manche, alors qu'elle était inférieure d'une vingtaine de points au début des années 80.

Certes, diront les sceptiques, mais le problème de la pauvreté, l'indigence des services publics ? Là aussi, on aurait tort de caricaturer le patron du Labour en héritier de Margaret Thatcher. Si la société britannique reste très inégalitaire (notamment parce qu'un quart des salariés travaillent à temps partiel et peinent à joindre les deux bouts), Tony Blair s'est sérieusement attaqué à réduire la pauvreté. Et en priorité celle des enfants, en mettant en place un dispositif d'aides sociales et de crédits d'impôt dont s'est inspiré le récent rapport remis par Martin Hirsch, président d'Emmaüs France, à Philippe Douste-Blazy. Résultat : le nombre d'enfants vivant dans des familles pauvres a diminué de 4,2 millions en 1999 à 3,6 millions. Pas de quoi pavoiser, mais la courbe s'est inversée. Par ailleurs, le Premier ministre travailliste s'est attelé à reconstruire des services publics (santé, transports, éducation) rendus exsangues par dix-huit années de gouvernement conservateur, quitte à laisser filer les dépenses publiques : près de 1 million d'emplois y ont été injectés. Ceci tout en leur fixant des objectifs de productivité et d'amélioration du service rendu. Dans les hôpitaux, les patients en attente d'une opération ont ainsi diminué de près d'un tiers et les délais d'attente de moitié.

C'est indéniablement sur le front de l'emploi que la comparaison est la plus cruelle. Elle conduit à s'interroger sur la pertinence des politiques conduites dans ce domaine en France depuis trente ans. Là où l'Hexagone a choisi de protéger les emplois existants (en rendant les licenciements plus difficiles, quitte à pousser les employeurs à être très prudents dans leurs recrutements), de partager le travail (via les préretraites, puis les 35 heures), d'être peu incitatif à la reprise d'un emploi (durée d'indemnisation du chômage généreuse, contrôle a minima, prime à l'emploi modeste), de scinder les activités de placement et d'indemnisation (ANPE et Unedic) et de multiplier les emplois subventionnés, le Royaume-Uni déploie une spirale apparemment vertueuse combinant une grande fluidité du marché du travail (pouvant licencier facilement, les entreprises ne rechignent plus à embaucher), une forte incitation à reprendre un emploi (un salaire minimum attractif, des abattements fiscaux recentrés sur l'emploi, une couverture chômage light, un contrôle contraignant), un investissement massif dans la reconversion des chômeurs, une prise en charge précoce de ces derniers et un guichet unique pour les recevoir (les Jobcentre). Sans nécessairement adopter l'intégralité du remède britannique, la France ferait bien d'en tirer quelques leçons.

Auteur

  • Denis Boissard