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L'intraitable loup de mer des marins CGT

Acteurs | publié le : 01.11.2005 | Jean-Paul Israël

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L'intraitable loup de mer des marins CGT

Crédit photo Jean-Paul Israël

Quel rapport entre « le frelon » et « le pit-bull » ? Seuls les marins cégétistes de la Société nationale Corse Méditerranée connaissent la réponse à cette devinette car il s'agit des deux surnoms qu'ils ont donnés à leur leader, Jean-Paul Israël, pour vanter sa ténacité. « Comme le pit-bull, il ne lâche jamais son sujet. Capable de répéter cent fois la même phrase, il peut faire très mal », note un camarade. « C'est un adversaire coriace. Il incarne la tradition d'intransigeance de la CGT des Bouches-du-Rhône qui tient entre ses mains deux victimes captives, l'économie du port et celle de la Corse », commente Philippe Galy, ex-P-DG de la SNCM. « Il est inflexible, tout en restant sympathique et jovial », renchérit un ex-DRH de la compagnie. Cette combativité, le gouvernement Villepin l'a mesurée lors de ce conflit de plus de trois semaines. « Celui-là a été le plus dur », reconnaît Jean-Paul Israël, un Méridional de 53 ans aux allures de loup de mer, qui a pourtant connu et conduit de nombreux mouvements de grève depuis son entrée en 1978 à la SNCM, sur les pas de son père, ex-intendant à la Transat, ancêtre de la compagnie. S'il s'avoue fatigué à l'issue du bras de fer, rien ne semble pouvoir entamer son calme légendaire. Pas même les attaques du Syndicat des travailleurs corses, qui l'accuse d'avoir bradé la lutte en mettant au vote la reprise du travail et brandit sa caricature, barrée d'un seul mot : « coupable ».

« Si être coupable, c'est de ne pas s'être laissé instrumentaliser par le STC et les nationalistes, qui ont voulu pousser la CGT à la surenchère et la SNCM au dépôt de bilan pour arracher la régionalisation de l'entreprise, je le revendique », rétorque le cégétiste. Même stoïcisme face aux accusations de détournement des recettes des ventes à bord, relayées par la presse après le conflit : « C'est une campagne pour discréditer la CGT aux yeux de l'opinion publique. Nous démentons et nous avons porté plainte. »

À la retraite dans dix-huit mois

Là où la presse salue la victoire de Villepin, qui a obtenu la privatisation partielle de la SNCM et voit une défaite des cégétistes contraints de renoncer au dogme d'une participation majoritaire de l'État, il fait une analyse radicalement différente. « Nous avons évité le désengagement total de l'État et obtenu l'entrée d'un opérateur industriel et des garanties. » Qui restent à concrétiser. Dans le cas contraire, il agite déjà la menace de nouvelles grèves, notamment sur le registre international français, nouvelle immatriculation qui permet d'embaucher jusqu'à 75 % de marins hors Union européenne. Sujet sur lequel la CGT-marins marseillaise a arraché au gouvernement la promesse d'une exception pour les lignes voyageurs vers le Maghreb.

Il reste que la privatisation marque sans conteste un tournant. « C'est la première fois que la CGT-marins de Marseille ne sort pas victorieuse à 100 % d'un conflit SNCM », note un proche du dossier. « Rien ne dit que la compagnie ne sera pas renationalisée un jour », préfère marteler ce membre du Parti communiste depuis trente ans. Éligible à la retraite à 55 ans dans dix-huit mois, Jean-Paul Israël tournera la page SNCM et celle du syndicalisme, où il est entré tardivement.

Bien qu'il ait grandi dans le quartier industriel de la Belle-de-Mai, c'est à l'art graphique qu'il se destinait. Après les Beaux-Arts, sous la pression parentale, il devient cuisinier, intégrant la SNCM pour la souplesse des horaires. Sept mois de navigation par an laissent le temps de peindre. Mais, titillé par son « besoin de justice », cet anarcho-socialiste déclaré se laisse « embarquer ». L'année de son embauche, il est élu délégué du personnel. L'« autorité naturelle », que lui reconnaît Mireille Chessa, de l'Union départementale CGT, lui a permis de grimper les échelons. Il prend la tête du Syndicat des marins CGT SNCM en 1993, puis de celui des navigants CGT marseillais. Dès lors, « il était capable de débrayer pour un rien, parce qu'il manquait un membre d'équipage. Il a toujours privilégié la grève, au risque de l'impopularité, même depuis que la restructuration est devenue une question lancinante en 1997 », résume un cadre. Après la SNCM, Jean-Paul Israël se mettra à « disposition du Parti », puis se retirera dans son mas cévenol pour peindre et lire Sartre ou Théodore Monod. Loin des clameurs des quais de la Joliette.

A.F.

Auteur

  • Jean-Paul Israël