logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

La crise existentielle du syndicalisme rhénan

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.11.2005 | Thomas Schnee

Image

La crise existentielle du syndicalisme rhénan

Crédit photo Thomas Schnee

En raison de la courte victoire des conservateurs aux législatives, la remise en cause de la cogestion promise par Angela Merkel n'aura pas lieu. Mais, pour les syndicats, ce n'est qu'un répit car, entre la crise économique, l'évolution du monde du travail et leurs erreurs stratégiques, ils continuent à voir fondre leurs effectifs et leur influence.

Dans la soirée du 18 septembre, les états-majors syndicaux allemands ont poussé un sacré soupir de soulagement. Car ils ont vu s'éloigner le spectre de la victoire d'une coalition libérale emmenée par la CDU, lourde de conséquences pour eux. Durant sa campagne, Angela Merkel, la candidate conservatrice, la future première chancelière de l'Allemagne, s'est livrée en effet à une attaque en règle contre la cogestion, l'un des piliers du modèle social allemand. Plus précisément contre le monopole syndical sur les accords d'entreprise, qu'elle souhaitait purement et simplement supprimer. « Supprimer le pouvoir de contrôle des syndicats de salariés et des organisations patronales sur les accords d'entreprise reviendrait à laisser les comités d'entreprise à la merci des employeurs et déboucherait sur une baisse sauvage des salaires », traduit Harmut Meine, numéro un d'IGMetall en Basse-Saxe.

Le résultat des élections législatives a donc rassuré les syndicats. Mais ce ballon d'oxygène ne résout pas pour autant la grave crise dans laquelle ils se débattent. Lors du récent congrès d'IGBau, à Berlin, Klaus Wiesehügel, réélu à la tête du syndicat du BTP, n'a pas masqué son inquiétude : « Si la situation économique dans le bâtiment ne s'améliore pas, d'ici à quelques années nous ne serons plus assez forts pour négocier des conventions collectives. Nous ne pourrons plus agir qu'au niveau des entreprises. » Un syndicat de branche absent des négociations collectives, ce serait du jamais-vu outre-Rhin ! La faute à la conjoncture, c'est évident : effondrement des commandes publiques, développement du travail au noir et concurrence des pays de l'Est ont mis à genoux les entreprises du secteur. Et laminé les effectifs syndicaux. Entre 2001 et 2004, le nombre des salariés du BTP a baissé de 1 million à 700 000. Celui des syndiqués, de 700 000 à 400 000. Quant aux entreprises, elles désertent les fédérations patronales, jugées trop laxistes, pour pouvoir négocier seules salaires et conditions de travail avec leur comité d'entreprise.

Le cas d'IG Bau reflète la situation dans laquelle se débat le syndicalisme allemand. Alors que le taux de syndicalisation était supérieur à 30 % dans les années 80, il est retombé à 20 %. Entre 1991 et 2004, le nombre des adhérents des syndicats du DGB, qui fédère 80 % des syndiqués, a chuté de 12 à 7 millions. À ce rythme, leur nombre devrait franchir à la baisse le seuil des 5 millions à la fin de la décennie. « Depuis des années, les syndicats perdent 30 000 à 40 000 adhérents par mois. Le gros de leurs effectifs vieillit et reste concentré dans l'industrie et la fonction publique, où l'emploi recule ou stagne. Les syndicats n'arrivent plus à attirer de nouveaux membres », analyse Wolfgang Streeck, directeur de recherche en sciences sociales à l'Institut Max-Planck, le CNRS allemand.

Fusions syndicales en série

L'âge d'or du syndicalisme allemand s'est achevé au milieu des années 90, marquées par la signature d'un pacte pour l'emploi sous l'égide de l'ancien chancelier Helmuth Kohl. Les syndicats allemands ont alors commencé à modérer leurs revendications. Principalement dans le domaine des salaires. Puis ils se sont lancés dans une série de fusions, autant pour éviter de perdre des adhérents que pour retrouver une force de frappe. Laissés exsangues par la crise, le syndicat du textile et celui du bois ont rejoint IG Metall en 1997. Pour IG Metall, ce regroupement a permis de gonfler les effectifs et de tester d'autres stratégies : « Auparavant, nous gérions d'énormes entreprises. Mais, dans une économie qui s'oriente vers les services, la PME est la structure d'avenir. Nous avions donc besoin d'intégrer de petites structures syndicales habituées à gérer des PME », raconte Michael Böhm, ancien porte-parole d'IG Metall. Dans les services, la même logique a présidé, en 2001, à la création du grand syndicat Verdi, qui réunit les organisations de la fonction publique (ÖTV), des médias (IG Medien), de la poste (DPG), celles du commerce, de la banque et de l'assurance (HBV) ainsi que le syndicat des employés (DAG). « Le problème, c'est que la conjoncture ne s'est pas améliorée. Les regroupements n'ont pas produit les effets escomptés et la crise syndicale a empiré », souligne Wolfgang Streeck.

La création de Verdi a, certes, permis des économies d'échelle. Mais cette superstructure a du mal à régler ses problèmes de croissance : « ÖTV, DAG et HBV se sont fait concurrence dans l'administration, les banques ou le commerce pendant cinquante ans. Avec Verdi, il a fallu, du jour au lendemain, redéfinir les compétences, spécifier de nouvelles unités, attribuer les postes, etc. L'image du syndicat s'est troublée », analyse Brita Müller, porte-parole de l'Union allemande des fonctionnaires (DBB).

Le cas du DBB, qui compte 1,7 million d'adhérents, est révélateur. Cette organisation concurrente du DGB regroupe 40 petits syndicats sectoriels, de l'Union allemande des huissiers à la Fédération des employés de l'administration fluviale en passant par le Syndicat de l'administration ou celui de la Banque fédérale : « Chez nous, un syndicat correspond à une profession. Les gens savent où ils sont. Et nous pouvons nous concentrer sur les services aux adhérents. C'est peut-être la raison pour laquelle nous sommes la seule confédération syndicale qui gagne actuellement de nouveaux adhérents », explique Brita Müller. En 2004, le DBB a enregistré 22 200 nouvelles adhésions. Alors que, depuis sa création, Verdi a déjà perdu… 400 000 adhérents.

20 % de membres retraités

Dans un rapport interne intitulé Turnaround, commandé par le DGB, les experts attribuent la crise actuelle, en premier lieu, à la situation économique dans l'industrie ou le bâtiment et à l'absence de représentation syndicale dans les secteurs d'avenir comme les télécoms et le high-tech. Mais aussi à l'insuffisance des réponses données par les organisations syndicales aux salariés face aux grandes mutations de la société allemande : le chômage de masse, le développement de la société de l'information, l'individualisation des comportements et la mondialisation. Ils constatent que les syndicats ne sont plus en phase avec l'évolution du monde du travail. En témoigne le profil de leurs adhérents, essentiellement des hommes, peu qualifiés. Le pourcentage de retraités est de 20 %, contre 6 % pour les moins de 35 ans. Le rapport Turnaround souligne également que les syndicats allemands n'ont pas réussi à proposer à leurs adhérents de nouveaux objectifs de lutte, se limitant à défendre les acquis. Bref, sans un aggiornamento rapide, l'avenir du syndicalisme est compromis.

Sous les coups de boutoir de la mondialisation, l'équilibre entre syndicats et patrons, défini depuis les années 50 par la cogestion, inscrite dans la Constitution allemande, s'est rompu, comme le montrent plusieurs accords signés chez Volkswagen à la rentrée. Fin septembre, par exemple, IG Metall, le syndicat des métallos, s'est vanté d'avoir maintenu à Wolfsburg, fief historique du constructeur, la production de la nouvelle Golf 4x4. Plusieurs mois auparavant, la direction de Volkswagen avait menacé de délocaliser la production de la future Golf 4x4 à Setubal, près de Lisbonne, si les salariés allemands n'acceptaient pas de faire des sacrifices. Finalement, la Marrakech sera produite en Allemagne, mais sur la base de l'accord Auto 5000.

Approuvé en 1999 par les syndicats, l'accord Auto 5000 a été la dernière innovation sociale en date de Wolfsburg. Il a permis d'embaucher 3 800 chômeurs très en dessous des grilles maison, supérieures de 15 à 20 % aux salaires pratiqués dans l'automobile allemande. Pour 2 500 euros mensuels, ces nouvelles recrues travaillent de vingt-quatre à quarante-huit heures par semaine, en fonction des besoins de la production, et touchent une prime unique de travail de nuit d'environ 1 000 euros. Depuis 2004, ce régime est devenu le standard d'embauche chez Volkswagen. Et ce n'est qu'un début. Les experts du secteur estiment que le premier constructeur européen, qui emploie 340 000 salariés et produit 5 millions d'automobiles par an, devrait supprimer 10 000 à 15 000 emplois pour renouer avec les bénéfices : « Nous construisons des voitures pour les vendre et non pour faire tourner les usines, a souligné dans le Handelsblatt Wolfgang Bernhard, directeur chargé de la gestion des marques du groupe VW, connu pour avoir assaini la branche américaine de Daimler Chrysler. Nos clients n'achètent pas une voiture parce qu'elle est fabriquée en respectant les conventions collectives. »

Empêcheurs de réformer en rond

Les syndicats allemands ont également été affaiblis par des erreurs de stratégie de leurs dirigeants. Exemple, en 2003, quand IG Metall a lancé un mot d'ordre de grève pour le passage aux 35 heures dans les nouveaux Länder de l'Est. Non seulement la base n'a pas été convaincue de la justesse de la revendication, mais la direction du syndicat s'est profondément divisée. Jürgen Peters, alors numéro deux, a décidé de durcir le mouvement sans prévenir ses collègues. Au lieu des grèves courtes et ciblées habituelles, il a fait occuper des entreprises sous-traitantes. Résultat, 10 000 grévistes est-allemands ont mis au chômage technique 60 000 collègues ouest-allemands. Face à la colère des adhérents de l'Ouest, aux médias qui ont critiqué cet aveuglement syndical et aux patrons qui n'ont pas cédé, IG Metall s'est vu contraint d'arrêter la première grande grève menée depuis 1954. Un fiasco total.

À partir de cette date, les syndicats allemands ont été considérés, par une large partie de l'opinion publique, comme des empêcheurs de réformer en rond. Se sont greffés à cela quelques jolis scandales. Alors que des milliers d'emplois disparaissaient dans le cadre de la fusion, le numéro un d'IG Metall, Klaus Zwickel, membre du conseil de surveillance de Mannesmann, ne s'est pas opposé au versement de somptueuses indemnités de départ (57 millions d'euros) aux dirigeants du groupe lors de son rachat par le britannique Vodafone. Tout récemment encore, des membres du CE de Volkswagen se sont retrouvés dans le collimateur de la justice pour une affaire de caisses noires et de pots-de-vin qui a provoqué la démission du DRH emblématique du constructeur, Peter Hartz, inspirateur de la réforme du marché du travail engagée par Gerhard Schröder.

Rupture du pacte avec le SPD

Pour les syndicats allemands, le règne du chancelier social-démocrate se sera soldé par beaucoup de déconvenues. Pendant son premier mandat, les sociaux-démocrates ont satisfait des revendications syndicales. Ils ont ainsi rétabli l'autorisation de licenciement mise à mal par le gouvernement Kohl. En 2001, ils ont également élargi les pouvoirs du comité d'entreprise, le Betriebsrat, et facilité l'élection des syndicats dans les PME. Mais les réformes du marché du travail ou de la santé contenues dans l'Agenda 2010 ont été ressenties comme un véritable coup de poignard. « C'était un reniement des engagements pris durant la campagne de 2002 », ne décolérait pas Berthold Hüber, numéro deux d'IGMetall, à la veille des élections de septembre. Les syndicats l'ont fait chèrement payé à Gerhard Schröder, en ne donnant pas de consignes de vote en faveur des sociaux-démocrates, rompant du même coup le pacte qui les liait officieusement au SPD.

L'avènement d'Angela Merkel ne réjouit pas pour autant le monde syndical. Même si les conservateurs ont mis de l'eau dans leur vin depuis le 18 septembre et d'ores et déjà ouvert le dialogue avec les grands dirigeants syndicaux. Car la crise existentielle du syndicalisme reste entière. Dans un ouvrage récent, À quoi servent encore les syndicats ?, le sociologue très en vogue Oskar Negt conseillait à ceux-ci d'étendre leur action en dehors du monde du travail et au-delà des thèmes des salaires et du temps de travail : « Qu'ils le veuillent ou non, les syndicats sont forcés par l'évolution de la société de suivre les travailleuses et les travailleurs là où ils vont. » Selon lui, les syndicats doivent investir, entre autres, les domaines de l'environnement, de la gestion des villes, de la culture ou encore des nouvelles technologies de l'information. Une proposition qui sied totalement aux détracteurs de la cogestion.

Le Linkspartei veut peser en 2009

Au vu des résultats des élections législatives, Jürgen Peters, le patron d'IG Metall, le grand syndicat de la métallurgie, a plusieurs motifs de satisfaction. D'abord, la guerre annoncée par Angela Merkel contre les syndicats est reportée aux calendes grecques. Mais, surtout, le nouveau parti de gauche, concurrent du SPD, à terme capable d'aider à créer durablement une majorité de gauche en Allemagne, qu'il a soutenue, a remporté un joli succès d'estime. L'année dernière, la création de l'Alternative électorale pour le travail et la justice sociale (Wasg) a été discrètement mais chaleureusement encouragée par Jürgen Peters et Frank Bsirske, le patron de Verdi. Aujourd'hui, la plupart des cadres de ce parti qui compte 16 000 militants essentiellement dans l'ouest de l'Allemagne, sont membres de Verdi ou d'IG Metall. Après avoir choisi Oskar Lafontaine, le plus célèbre dissident social-démocrate, comme candidat aux élections, la Wasg s'est alliée au PDS est allemand pour former le Linkspartei. Ralliant les adversaires du libéralisme et de l'Agenda 2010 de Schröder, il a obtenu 8,6 % des voix le 18 septembre dernier. Le bilan qu'IG Metall a tiré du scrutin est le suivant : « La coalition de droite a perdu. L'Agenda 2010 a coûté la majorité au pouvoir rouge-vert. Le Linkspartei, qui a soutenu les revendications des syndicats, a pu doubler ses voix. »

Pour Jürgen Peters, 51 % des Allemands ont voté à gauche, une nouveauté dans l'Allemagne d'après-guerre : « Pour l'instant, il serait difficile d'imaginer que le Linkspartei puisse discuter de façon constructive avec le SPD et les écologistes de la formation d'un gouvernement. Les blessures sont encore trop profondes. Mais nous verrons bien à l'avenir. » Dès 2009, lors des prochaines législatives ?

T. S.

Auteur

  • Thomas Schnee