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Enquête

Cinven taille dans Ypso pour booster les marges

Enquête | publié le : 01.02.2006 | Éric Beal

La création de valeur est l'obsession des fonds d'investissement. Pour obtenir un retour sur investissement rapide, ils ne s'embarrassent pas de détails et n'hésitent pas à dégraisser les effectifs. Tests, le groupe de presse spécialisé dans l'informatique, en a fait l'expérience. Racheté en 2002 par un consortium de fonds comprenant Cinven, Carlyle et Apax Partners, il se retrouve trois ans après avec un effectif réduit de plus du quart, malgré une augmentation significative du nombre de titres édités. En 1999, le Groupe Danone cède 56 % de BSN Glasspack, une filiale spécialisée dans la fabrication de contenants en verre, au fonds CVC Capital Partners. Le nouveau propriétaire n'aura de cesse d'obtenir des gains de productivité pour réduire la part des frais de personnel de 24 % à 19 % dans le prix de vente en quatre ans.Au passage, deux usines sont fermées, et 1 300 salariés licenciés. Mais les charrettes ne sont pas toujours la panacée. Lorsqu'il a été repris par Texas Pacific Group en 2000, le fabricant de puces électroniques Gemplus comptait 7 870 salariés. Fin 2004, ses effectifs avaient fondu d'un quart, mais son chiffre d'affaires avait diminué de 28 %. Le départ massif d'employés expérimentés est une perte de savoir-faire qui peut engendrer une détérioration de la qualité du service. Illustration avec Ypso, un fournisseur d'accès à Internet créé à coups de rachats successifs par Cinven.

Je demanderai aux personnes qui rencontrent des problèmes d'Internet ou de TV de respecter les salariés que vous avez au téléphone car ils sont tout autant victimes que vous. Ne faites pas l'amalgame entre une politique décidée par des “têtes pensantes” et des employés dont on a cassé l'outil de travail. » Cette intervention d'un salarié anonyme est consultable sur www. serialmaster.com/numericable/, un site Internet destiné à recueillir les critiques des clients de NC Numericable et de France Télécom Câble. De quoi rendre perplexes les consommateurs. À la suite de la reprise de ces deux fournisseurs d'accès à Internet par le câble par le fonds d'investissement d'origine britannique Cinven, ils ont été nombreux à se plaindre de problèmes techniques. Leur mécontentement a même atteint des sommets au printemps 2005, lorsque la nouvelle société les a avertis que leur connexion à Internet allait être réduite, un système de quotas étant institué sur l'importation de fichiers. « Après avoir fait partir le maximum de salariés, c'est une façon de se débarrasser des plus gros utilisateurs et d'éviter d'investir », dénonçait à l'époque un représentant du personnel. Une accusation que dément Philippe Besnier, P-DG du nouvel ensemble dénommé Ypso. « Nous allons investir près de 200 millions d'euros dans les trois prochaines années pour moderniser notre réseau câblé. Par ailleurs, en raison des réactions négatives, nous avons renoncé aux quotas dans les quinze jours suivant leur officialisation. Quant aux problèmes techniques que nous avons connus en 2005, ils sont dus aux modifications de nos modes de fonctionnement et de nos outils, mais notre objectif est de retrouver une qualité de service optimale le plus rapidement possible. »

À cette fin, la nouvelle direction s'est lancée dans une réorganisation massive pour unifier le plus rapidement possible les deux entreprises, auxquelles s'est ajoutée la société Câble de l'Est. D'ores et déjà, un même système informatique permet de gérer les 1,8 million de clients. Sur le papier, Ypso est aujourd'hui le deuxième opérateur français du câble, sur un marché de l'accès à Internet détenu à 90 % par les fournisseurs d'ADSL. Cinven, qui n'a pas souhaité répondre à nos questions, détient 50,01 % du capital. Au nombre des actionnaires, on compte aussi Altice, un câblo-opérateur en Alsace, en Belgique et au Luxembourg avec 10 %, ainsi que France Télécom et Canal +, les anciens propriétaires, qui gardent chacun 19,99 % des actions.

Pour Jean-Luc Manceau, délégué syndical CFDT chez NC Numericable, l'ancienne filiale de Canal +, la réorganisation d'Ypso s'apparente à une véritable révolution. « Nous sommes passés d'une culture privilégiant la fidélisation des équipes pour améliorer la qualité de la prestation aux clients à une culture privilégiant la souplesse, la rapidité d'exécution et les marges. La sous-traitance augmente. Les managers sont obnubilés par les taux d'abonnement et de désabonnement. » Mais personne, selon lui, ne s'inquiète du départ des anciens qui permet de recruter des collaborateurs plus jeunes et moins bien payés.

La prise en main par Cinven s'est soldée par des suppressions d'emplois. En juin 2005, un plan de sauvegarde de l'emploi a organisé le départ de 316 salariés, tandis que 213 postes étaient externalisés chez Teleperformance, ERT et Sogetrel, les sous-traitants nouvellement choisis pour gérer les appels des clients et la maintenance du réseau. Auparavant, 250 salariés de FT Câble avaient choisi de rejoindre France Télécom en profitant d'un engagement de leur maison mère. Et une centaine de leurs collègues étaient partis sur la base du volontariat. Sur les 1 400 salariés que comptaient les sociétés réunies par Cinven, seule la moitié devrait finalement rester. Les commerciaux sont également touchés. La quasitotalité des vendeurs à domicile ont refusé les modifications de leur contrat de travail proposées par la direction. « Les vendeurs de FT Câble n'étaient pas intéressés aux résultats, justifie le P-DG. Et le coût d'acquisition d'un nouvel abonné revenait trop cher. Or nous voulons dégager des marges pour financer nos investissements et nous imposer sur un marché très concurrentiel. »

Pour le moment, les résultats suivent. Malgré les ennuis techniques, les taux de désabonnement restent stables et les 200 vendeurs nouvellement recrutés engrangent plus d'abonnements que leurs aînés, dont l'ancienneté moyenne s'élevait à quinze ans… Les représentants du personnel dénoncent une gestion qui tourne le dos à la culture sociale des anciennes entreprises. Mais ils admettent que les investissements techniques sécurisent l'avenir de l'entreprise et lui permettent de hisser son offre commerciale au niveau de celle de ses concurrents avec le « triple play », un service associant la télé, le téléphone et Internet.

La guerre commerciale fait rage. L'entreprise s'apprête à proposer un accès à Internet à 100 mégabits via la fibre optique. « Le marché est à ouvrir, explique Philippe Besnier. Si les résultats suivent, nous créerons des emplois. » Il s'engage également à partager les futurs profits avec ses salariés, grâce aux accords d'intéressement existants « qu'il faudra unifier ». En attendant, l'entreprise semble beaucoup plus préoccupée d'améliorer les « processus relationnels avec les clients » que de soigner le malaise des salariés rescapés des différentes vagues de départs…

Auteur

  • Éric Beal