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Enquête

LA SANTE DES SALARIES MENACEE

Enquête | publié le : 01.12.1999 | Valérie Devillechabrolle

Explosion des maladies professionnelles, reprise des accidents du travail : les salariés ne sont pas à la fête. La méconnaissance des nouveaux risques courus, l'intensification du travail et la précarité de l'emploi composent un cocktail particulièrement redoutable pour la santé.

Embellie sur le front de l'emploi, mais… nette dégradation de la santé au travail. Focalisés sur la courbe du chômage, pouvoirs publics et partenaires sociaux négligent l'évolution inquiétante des accidents et maladies dont sont victimes les salariés. Et pourtant, les indicateurs virent tous au rouge ! Le nombre de maladies professionnelles reconnues par la Sécu explose depuis le début des années 90 : avec plus de 13 000 cas recensés en 1996, elles ont doublé en cinq ans. Quant aux accidents du travail, ils repartent de plus belle, avec quelque 1,3 million d'accidents recensés en 1996 (en hausse de 1,6 %). Pis, leur gravité augmente : les accidents entraînant un arrêt de travail se sont accrus de 3,5 % en un an. La dégradation est telle qu'elle tend à faire oublier les résultats de cinquante ans de politiques de prévention visant à juguler les risques liés aux travaux les plus pénibles et les plus dangereux.

Comment s'explique une telle épidémie ? D'abord par la méconnaissance des risques courus. Si les effets sur la santé d'un certain nombre de substances (benzène, rayonnements ionisants) sont bien identifiés et assez bien contrôlés, d'autres sont encore peu connus (à l'instar de l'impact de certains éthers de glycol sur la fertilité), voire pas du tout quand il s'agit de nouveaux produits mis sur le marché (les phytosanitaires dans l'agriculture, par exemple).

Autre sujet d'inquiétude, la diffusion d'organisations de travail « néostakhanovistes », pour reprendre le terme de Philippe Askenazy, un jeune chargé de recherche au CNRS, auteur d'une thèse remarquée sur « la nouvelle économie américaine ». Fondées sur une intensification et une optimisation constante des postes, ces organisations du travail ont, souligne-t-il, « entraîné une hausse dramatique et constante de 20 à 30 % de la fréquence des accidents et des maladies du travail aux États-Unis dans l'industrie comme dans les services ». Fille aînée de Taylor, la France n'est pas épargnée si l'on en juge par l'explosion des troubles péri-articulaires et autres dorsalgies, ainsi que par le développement grandissant de nouveaux troubles psychiques (du surmenage à la dépression).

L'emploi précaire constitue enfin une source croissante d'atteintes à la santé. Les intéressés héritent des travaux les plus pénibles et les plus dangereux sans avoir les moyens de se protéger, ni même de se défendre. Résultat, en dépit de toutes les campagnes de prévention, les intérimaires restent deux fois plus accidentés et même deux fois plus gravement que les autres salariés. Parallèlement, la généralisation de la sous-traitance dans l'industrie aboutit à une dilution des responsabilités des entreprises donneuses d'ordres en matière de prévention des risques.

Et les statistiques de la Sécurité sociale ne reflètent que la partie émergée de l'iceberg. Un conflit oppose depuis des lustres les associations de victimes à la Caisse nationale d'assurance maladie sur la reconnaissance des maladies professionnelles. Dernier avatar de la crise : les refus dont ont pâti, depuis l'été, des centaines de salariés victimes de l'amiante. « Les caisses font tout pour décourager les victimes de se faire indemniser ! » s'insurge François Desriaux, président de l'Association nationale des victimes de l'amiante. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : chaque année, sur les 8 000 nouveaux cas de cancers qui, selon les spécialistes, seraient d'origine professionnelle, la Cnam n'en indemnise que près de 300. De même, sur les 130 000 opérations annuelles du canal carpien, l'une des pathologies caractéristiques d'un trouble musculo-squelettique, la Sécu n'en retient que quelques milliers.

Garants du système de prévention, les partenaires sociaux commencent à prendre conscience du malaise. Mais leurs discussions visant à réformer le système s'enlisent… Jusqu'à ce qu'un nouveau scandale les force à agir ?

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle