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Enquête

Un match perdant-perdant

Enquête | publié le : 01.04.2006 | Stéphane Béchaux, Valérie Devillechabrolle

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Un match perdant-perdant

Crédit photo Stéphane Béchaux, Valérie Devillechabrolle

L'une, la CGT, est difficile à gouverner mais prompte à mobiliser ; l'autre, la CFDT, conserve un vrai pouvoir d'influence. Deux sœurs ennemies qui ont moins que jamais intérêt à faire cavalier seul.

SA CAPACITÉ À MOBILISER

Infatigables, les militants de la CGT, Bernard Thibault en tête, sont sur tous les fronts ces dernières semaines ! À grand renfort de banderoles et de sono, les manifestations s'enchaînent et se ressemblent. Après une première mobilisation en demi-teinte le 7 février, les troupes cégétistes ont battu le pavé à de nombreuses reprises, en mars, pour protester contre le projet de contrat première embauche. Trois semaines auparavant, les drapeaux et les ballons aux armes de la centrale flottaient devant le Parlement européen, à Strasbourg, dans le cadre de l'euro manifestation organisée contre la directive Bolkestein. Quant aux gaziers, ils n'attendaient que le feu vert de leur centrale pour dénoncer le projet de fusion de Suez avec Gaz de France.

Si les cortèges cégétistes sont encore les plus imposants, ces démonstrations de force à répétition ne mobilisent pas, loin s'en faut, l'ensemble des salariés. Lors des manifestations parisiennes anti-CPE, le gros des troupes provenait une fois de plus du secteur public (cheminots, hospitaliers, postiers et fonctionnaires de l'État), de quelques bastions du privé (Livre parisien, métallurgie). Les gros bataillons du privé brillaient, comme d'habitude, par leur absence. « Pour sortir en semaine, il faut être sûr de ne pas être viré le lendemain », plaide Francine Blanche, membre du bureau confédéral issue du groupe Alstom. « Si les salariés de nos secteurs ne sont pas mobilisés, c'est aussi parce que la CGT est encore à côté de la plaque ! » rétorque off record un responsable d'une fédération du privé. Explication de ce décalage ? « Les militants de la CGT ne consacrent pas assez de temps à la syndicalisation pour être efficaces dans leurs revendications. »

« On ne peut pas prétendre obtenir gain de cause et avoir de l'influence sans une vraie assise dans le salariat », martèle Bernard Thibault. Mais si le secrétaire général est conscient du cap à tenir, il a bien du mal à mettre la CGT en ordre de marche. Alors que 53 % des 711 000 adhérents sont en principe issus du privé, « la gestion des priorités dans l'organisation reste dominée par l'idée que s'en font les agents publics », remarque le chercheur de l'Ires Jean-Marie Pernot dans le dernier numéro de la revue Mouvements consacré au syndicalisme. Résultat : l'attitude pragmatique des cégétistes de base du privé, qui, selon le consultant Bernard Brunhes, « faute de pouvoir lutter contre les réorganisations imposées par la mondialisation, préfèrent dialoguer intelligemment pour tenter de résoudre leurs problèmes plutôt que de participer à des manifestations idéologiques », se heurte à de nombreuses résistances dans l'appareil cégétiste.

« On a affaire à des gens qui sont à dix mille lieues des problèmes de terrain et qui ne connaissent rien aux restructurations ni à la négociation. Ces gens radicalisent leurs positions parce que c'est plus simple et plus confortable », résume Christian Larose, l'ancien patron réformiste de la Fédération du textile. Au point que, lorsque Bernard Thibault lui-même tente de négocier avec le gouvernement une sortie de crise à la SNCM plutôt que d'appeler à l'extension du conflit, il s'attire une volée de bois vert de la part de ses ultras.

A contrario, la lutte demeure une valeur sûre dans l'organisation. Même lorsqu'elle se solde par quelques échecs retentissants, y compris dans ses propres bastions (RTM, SNCM, SNCF ou encore EDF). « Si ce sont des reculs, ce ne sont pas des défaites », plaide Michel Doneddu, de la direction confédérale, en se raccrochant aux 47 adhésions supplémentaires engrangées après le conflit de la RTM. Car la CGT peut aussi se consoler en constatant que les salariés ne lui tiennent pas rigueur pour autant de son incapacité à « faire bouger les lignes », comme le fait remarquer Stéphane Rozès, directeur de CSA Opinion et responsable du baromètre annuel réalisé pour la CGT.

Toujours est-il que la CGT demeure l'organisation la mieux implantée sur le terrain. Comme en témoigne la première place que la centrale de Montreuil a encore confortée à l'issue des résultats des élections aux comités d'entreprise en 2004 que vient de publier la Dares. « Et la plus sollicitée en cas de coup dur », ajoute Bernard Thibault. À charge pour lui de se donner enfin les moyens d'exploiter ce potentiel de développement…

SON POIDS INSTITUTIONNEL

Le secrétaire général de la CGT en convient volontiers : « Si on apprécie notre capacité d'influence au fait d'obtenir des pouvoirs publics des réponses conformes à nos attentes, notre influence est très faible. » En d'autres termes, « le gouvernement se comporte comme si nous n'existions pas ! » renchérit Maryse Dumas, membre du bureau confédéral. Et les exemples de cette attitude « méprisante » abondent dans la dernière période. Le CPE ? « Nous n'avons même pas pu obtenir une audition à l'Assemblée car elle a été annulée et l'on a eu droit à seulement une demi-heure au Sénat », observe Francine Blanche. La baisse de la TVA dans la restauration ? « Nous n'avons jamais eu d'ouverture pour demander des contreparties sociales, que ce soit de la part du patronat ou du gouvernement », reconnaît Patrick Brody, de la Fédération commerce et services.

Car, depuis l'échec du conflit autour de la réforme des retraites de 2003, la majorité est décidée à pousser son avantage, quitte à ne plus prendre de gants avec la CGT. « Alors que jusque-là nous avions l'impression que la CGT était en train de bouger et qu'il fallait l'aider en ce sens, cet espoir s'est cassé au printemps 2003 », confirme-t-on dans l'entourage de l'ancien ministre François Fillon. « Gouvernement et patronat étaient par trop imprégnés de faux espoirs, rétorque Bernard Thibault. Devenir un partenaire destiné à accepter n'importe quoi n'a jamais fait partie de nos objectifs. »

Depuis la mise en minorité de la direction sur le traité constitutionnel européen, les conservateurs de tout poil se sentent pousser des ailes à la CGT

Principal revers de la médaille de cette position intransigeante, la CGT se retrouve marginalisée dans les discussions interprofessionnelles. À l'instar de la dernière négociation Unedic où même un Maurad Rabhi, chef de file issu de la Fédération textile et réformiste patenté, n'a pu que dénoncer « la déloyauté d'une négociation dominée par les bilatérales de couloir », faute de réussir à promouvoir auprès de ses partenaires syndicaux sa revendication d'une taxation du travail précaire. D'une façon générale, la CGT n'est pas encore parvenue à « sortir de la reculade imposée par le gouvernement pour imposer ses propres revendications », pour reprendre l'expression de Maurice Marion, porte-parole de la Fédération mines-énergie. Exemple : sur la sécurité sociale professionnelle, un concept inventé à l'origine par Bernard Thibault lors d'un meeting prud'homal et progressivement devenu le creuset des revendications publiques et privées de la CGT. Si généreux soit-il, « ce concept ne paraît pas assez robuste et concret pour faire figure de revendication d'intérêt général », regrette Jean-Christophe Le Duigou, l'économiste de la CGT, membre du bureau confédéral. En d'autres termes, déplore Maryse Dumas, « nous avons peu de relais, y compris dans les partis de gauche ». C'est dire…

SA GESTION DU DÉBAT INTERNE

Pour quelqu'un qui est réputé ne pas aimer les conflits, Bernard Thibault va être servi. Car, de l'avis d'une habituée comme Maryse Dumas, « le 48e congrès promet d'être agité ». Et pour cause ! Depuis que la position de neutralité défendue par le secrétaire général lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen a été battue en brèche en février dernier par une large majorité (82 %) des organisations composant le comité confédéral national – l'instance suprême de l'organisation entre deux congrès –, les conservateurs de tout poil se sentent pousser des ailes. « L'heure est venue de demander des comptes à une direction confédérale coupable de collaboration de classe », martèlent, par exemple, sur leur site Internet les tenants du collectif ultra conservateur Continuer la CGT.

Si Maryse Dumas a vu dans la mise en minorité de la direction sur l'Europe le signe de la vitalité de sa démocratie interne – « nous pouvons nous dire les choses sans nous briser », observe-t-elle –, Jean-Christophe Le Duigou s'avoue plus inquiet quant aux effets à plus long terme : « C'est un accroc extrêmement important par rapport au rythme de changement de la CGT. » Car « le non à l'Europe s'est transformé en un non aux orientations du 47e congrès », renchérit Maurad Rabhi. À l'instar des métallos du Pas-de-Calais qui comptent bien profiter de la tribune du congrès pour dénoncer pêle-mêle la politique du syndicalisme rassemblé, la participation de la CGT à la CES et même la « sécurité sociale professionnelle ».

Si bruyants soient-ils, ces points de vue politiques sont toutefois loin de structurer une opposition cohérente à la ligne défendue par Bernard Thibault. Car, en réalité, de l'avis d'un transfuge de la CFDT, « les positionnements des uns et des autres se font souvent moins sur le fond que sur des petits intérêts boutiquiers et tacticiens ». « Beaucoup de l'énergie militante CGT est absorbée par des querelles idéologiques et des concurrences intestines pour le contrôle de l'appareil et des rivalités liées à leurs ressources respectives. On pourrait aussi parler de “clanisme”, voire de “carriérisme”, conséquence de la bureaucratisation des militants », écrit Dominique Andolfatto, chercheur à l'université de Nancy II, dans l'État de la France 2005-2006 (éditions La Découverte).

Au quotidien, « alors que, vue de l'entreprise, la CGT paraît une et indivisible, elle ressemble au contraire, vue du sommet, à une conjonction très complexe où chacun a toute autonomie pour définir ses priorités et son champ d'action », renchérit Francine Blanche. Or, depuis la dissolution du ciment idéologique communiste commun, ce fédéralisme s'affiche sans vergogne. Au point d'engendrer une certaine cacophonie sur les prises de position ! Tandis que Maurad Rabhi va soutenir la création du nouveau contrat de transition professionnelle, car « ce dispositif apporte un plus aux salariés des petites entreprises par rapport à l'existant », Freddy Huck, le très orthodoxe patron de la Fédération agroalimentaire, va continuer à rejeter toute idée de fonds de restructuration au motif que « cela revient à accompagner la fermeture des entreprises. » Rappelant que, « contrairement à une idée reçue, la direction confédérale CGT [n'avait] pas la prétention, au nom de l'efficacité, de rogner sur l'autonomie des syndicats », Bernard Thibault a jusqu'à présent préféré se tenir prudemment au-dessus de la mêlée, tout en reconnaissant qu'« en période de crise la solidarité n'est pas le réflexe le plus spontané des organisations… ».

SON EMPRISE SUR L'APPAREIL

L'autonomie des 20 000 syndicats qui composent la CGT est telle que la confédération ne dispose d'aucun fichier national des adresses des syndiqués. Si bien que, pour s'adresser en direct aux adhérents, Bernard Thibault n'a d'autre choix que de prendre son bâton de pèlerin, comme il vient de le faire à l'occasion d'une série de rencontres régionales organisées en préambule au congrès. Ou de s'en remettre au bon vouloir des organisations (fédérations et unions départementales), « qui relaient ou pas le message confédéral », remarque Francine Blanche. « La confédération n'a pas prise non plus, constate Maryse Dumas, sur la façon dont les syndicats se créent, s'organisent et financent les fédérations et les unions départementales. » Résultat : alors que Bernard Thibault a, depuis 1999, érigé en priorité le développement de la centrale dans le privé, le découpage de la CGT en 32 fédérations reste quasi identique à celui en vigueur depuis la Libération. Et, côté financement, la solidarité n'est pas la vertu première. Michel Doneddu, administrateur confédéral chargé des finances, qui défend un projet de reversement des cotisations entre organisations sur la base de pourcentages fixes – 29 % pour les fédérations, 25 % pour les territoires, 10 % pour la confédération, 3 % pour la presse confédérale et 33 % pour les syndicats –, l'admet : « Seul un tiers de nos syndicats reverse de façon équitable à toutes les organisations. Les autres se contentent de reverser à celle qui leur rapporte le plus de services, et certains en conservent 45 % pour eux. »

Cela n'est pas la première fois que le sujet est remis sur le tapis. Initiée dès 1999 par Lydia Brovelli, l'ancienne trésorière réformiste de la CGT, une refonte des cotisations visant à mutualiser davantage les moyens financiers au niveau confédéral avait été présentée en 2003. Las ! En dépit d'une adoption à une courte majorité (52 %) lors du congrès de Montpellier, le projet était resté lettre morte : « Fédéralisme oblige, à moins de 70 % de voix pour, les organisations ne l'auraient de toute façon pas appliqué », observe, médusé, un transfuge de la CFDT. « Sur un sujet comme la réforme des cotisations, il faut respecter la vitesse que peut admettre une organisation, répond l'ancien cheminot mécano Bernard Thibault avec sa prudence légendaire. À trop vouloir la mettre en surchauffe, on risque de casser des pièces… » Sauf que, « maintenant, il n'y a plus le choix », assure-t-il, quitte à dramatiser… un peu : « Si, en dépit des précautions prises, cette réforme n'est pas adoptée cette fois-ci, elle sera enterrée pour une longue période et ce serait trop dommageable pour l'organisation. » V.D.

SA CAPACITÉ À MOBILISER

C'est peu dire que la rue n'est pas le terrain de prédilection du militant cédétiste. Qu'il s'agisse de défendre les 35 heures au printemps 2005, de contester le CNE en octobre et le CPE cet hiver, ou de sauvegarder le pouvoir d'achat des fonctionnaires, les troupes de François Chérèque font plutôt pâle figure dans les grandes manifestations unitaires. Une faible capacité de mobilisation qui tient en partie à la mauvaise implantation de la CFDT dans les bastions du public. Désertée à la SNCF, faiblarde chez EDF, flageolante dans la fonction publique d'État, notamment chez les profs, la centrale ne peut plus compter sur les « professionnels » de la manif pour grossir ses rangs. Le prix à payer pour son positionnement sociétal, et son allergie à soutenir les intérêts catégoriels. « La CFDT a fait le choix de défendre les salariés en difficulté, dans les entreprises en prise avec la mondialisation, au détriment des agents du secteur public », analyse l'expert Bernard Brunhes.

Pour exister dans la rue, la confédération de Belleville, mieux implantée dans le privé, en est réduite à promouvoir… la manif du week-end plutôt que la grève en semaine. « Autant manifester le jour où les salariés du privé peuvent nous rejoindre. Le 4 octobre, on a privilégié l'unité syndicale au samedi. Le résultat montre qu'on aurait peut-être dû faire l'inverse », observe François Chérèque. Un argument difficile à faire passer chez ses partenaires syndicaux qui, sur le terrain de la mobilisation, ne comptent plus trop sur lui. Pour les manifs anti-CPE, la CFDT a ainsi dû déroger plusieurs fois à sa règle de conduite.

Autre principe, auquel la centrale essaie de se tenir : le refus des mobilisations fourre-tout. La manif unitaire qui, pour ratisser large et contenter tout le monde, mélange défense du service public, des salaires et de la Sécu n'est pas franchement sa tasse de thé. Pas plus que les revendications trop vagues. La centrale garde en mémoire la funeste plate-forme unitaire qui, début 2003, précisait les contours d'une éventuelle réforme des retraites. Quelques semaines plus tard, l'unanimité avait volé en éclats…

Reste une question de fond. La CFDT croit-elle toujours à la mobilisation pour faire avancer ses revendications ? Officiellement, oui. « Nous misons sur notre capacité d'engagement par la négociation, mais aussi de contestation par la revendication », assure son secrétaire général. Sauf que l'affirmation résiste mal à l'épreuve des faits. Dans la rue, la centrale s'acquitte le plus souvent du minimum syndical, sans trop y croire. Elle n'hésite pas non plus à faire publiquement connaître son désaccord quand ses petits camarades s'engagent dans des combats qu'elle juge d'arrière-garde. Comme à la SNCF, à la SNCM ou à la RTM. Une attitude qui irrite d'autant plus ses partenaires syndicaux, CGT et FO en tête, que ceux-ci n'arrivent pas à lui donner tort. Dans la rue, ils n'obtiennent pas grand-chose de plus…

SON POIDS INSTITUTIONNEL

Mal à l'aise dans la rue, la confédération cédétiste brille en revanche dans les salons ministériels et patronaux. Pour le gouvernement comme pour le Medef, elle représente LE partenaire indiscutable quand ceux-là veulent bien négocier. Ce qui lui vaut quelques jolis compliments d'un des principaux négociateurs patronaux : « Les dirigeants de la CFDT sont les syndicalistes les plus ouverts au monde qui change. Ils incarnent un syndicalisme de responsabilité qui, à terme, paiera. Dommage qu'ils n'arrivent pas à se défaire de leur tropisme d'une réduction du temps de travail créatrice d'emplois. » Chouchoute des patrons, la centrale de Belleville ne laisse que des miettes à ses partenaires dans les négos. Ce qui lui vaut certaines réactions d'animosité, même dans le camp des réformistes. « La CFDT a tendance à lâcher un peu vite quand ses revendications sont satisfaites. Si elle jouait un peu plus l'unité syndicale, on pourrait parfois obtenir davantage », estime Alain Lecanu, le négociateur en chef de la CFE-CGC.

Principal fait d'armes de François Chérèque lors de son premier mandat, l'accord sur les retraites du printemps 2003. « Dès le début, on a senti que la CFDT avait compris la nécessité d'une réforme. Notre seule interrogation était de savoir si Chérèque allait avoir la même capacité d'entraînement que Notat, avec qui on pouvait dealer et qui avait le dos large. Au final, ça s'est plutôt bien passé », relate un ancien du cabinet de François Fillon. Si le leader cédétiste reconnaît bien volontiers des « erreurs de méthode dans la prise de décision », il ne renie rien du contenu du texte. Pas plus que sa commission exécutive, totalement solidaire. « Sur le fond, on a été intraitable. Cette négo est un acte fondateur du réformisme CFDT, qui nous a fait prendre une avance phénoménale, analyse Jean-Marie Toulisse, secrétaire national chargé du dossier. Personne ne remettra en cause le passage aux quarante ans de cotisation. Sûrement pas le PS qui, s'il revient au pouvoir, s'alignera sur nos positions. »

Droite dans ses bottes, la CFDT peut se vanter d'avoir obtenu par la négociation d'incontestables succès. Par exemple la possibilité pour les salariés ayant commencé à travailler très tôt de prendre leur retraite avant 60 ans. Ou, plus récemment, le maintien de la non-dégressivité des allocations pour les chômeurs. Sauf que la centrale n'arrive pas à capitaliser sur ses acquis, comme le montrent ses mauvais résultats aux élections des CE de 2003 et 2004, ou les sondages, qui la placent derrière la CGT. Au contraire, il lui colle même plutôt à la peau une image de « syndicat jaune », nourrie par ses déboires sur les intermittents ou les recalculés. « En France, ceux qui affrontent la réalité sans langue de bois et cherchent des solutions se mettent en difficulté. Et pourtant, les vrais accompagnateurs du système sont les tenants des grands discours radicaux, déconnectés de la réalité », analyse Marcel Grignard, secrétaire national chargé de l'international et des politiques industrielles.

SA GESTION DU DEBAT INTERNE

On est les champions ! On est les champions ! » En mai 2002 à Nantes, les congressistes cédétistes, gonflés d'orgueil, saluent en chanson le départ de la tsarine Nicole et l'arrivée de son successeur. Débarrassée de la mouvance contestataire des Tous ensemble, la centrale entend donner la pleine mesure à son réformisme éclairé et tailler des croupières à la vieillissante CGT. François Chérèque n'est pas en reste. En Zidane du syndicalisme, il affiche ses ambitions, avec un objectif de 1,2 million d'adhérents. « Une connerie. À l'époque, on savait déjà que notre progression s'essoufflait et que le papy-boom n'allait rien arranger. Mais François y tenait, pour montrer son volontarisme », se souvient un ancien de l'équipe Notat. Résultat, quatre ans plus tard, le nombre d'adhérents a diminué, et le triomphalisme n'est plus de mise.

En interne, on chiffre à 30 000 le nombre d'adhérents ayant quitté l'organisation après la réforme des retraites. Des départs enregistrés pour l'essentiel dans les derniers bastions oppositionnels : les banques, les transports ou l'Auvergne. Pas de quoi inquiéter outre mesure la commission exécutive, puisque aucune ligne de fracture nouvelle n'est apparue. « Désormais, nous ne sommes plus sur des majorités et des oppositions qui s'affrontent bloc contre bloc, quel que soit le sujet. Le débat est plus libre », assure le leader cédétiste. Cette vision d'une ultime clarification salvatrice ne convainc pas tout le monde dans l'appareil confédéral. « Quand on n'a plus d'opposition, on ne peut plus entendre d'autres musiques et affiner ses arguments. La CFDT fonctionne comme une citadelle assiégée où tout le monde s'autosatisfait, de la commission exécutive au bureau national », entend-on aussi dans les couloirs. La décision de François Chérèque de revenir désormais systématiquement devant ses instances avant de signer le moindre texte n'y change rien : une pure formalité, dans un bureau national monolithique. Pour sa défense, le leader cédétiste invoque ses déplacements fréquents sur le terrain. « Je passe 20 % de mon temps avec les militants. Ce sont les moments que je préfère. Je ne peux pas fonctionner sans ça. La lecture de la réalité, je l'ai comment, moi, sinon ? » Une méthode qui n'a pas que des adeptes. « Une confédération ne marche pas avec un secrétaire général et des adhérents sur le terrain. Il faut aussi motiver l'appareil intermédiaire », commente un ancien de la commission exécutive.

Nourris ou non, les débats internes s'avèrent actuellement peu fructueux. Dans la maison comme au dehors, on s'interroge sur la capacité de la centrale à porter un projet de société, et à le faire partager. « Auparavant la CFDT rayonnait. Elle était porteuse d'utopies et faisait figure de poil à gratter intellectuel. Aujourd'hui elle donne l'impression d'être en hibernation », observe un fin connaisseur du social. « La CFDT ne peut pas se contenter de gérer courageusement l'Unedic, la Cnam ou de réformer les retraites. Ça n'est pas dynamisant. Il nous faut d'autres chantiers sur lesquels on puisse identifier l'organisation comme vecteur de progrès, de transformation sociale », abonde un vieux routard de la confédération. Pour l'heure, ni le développement durable ni la sécurisation des parcours professionnels n'ont pris la place laissée vacante par le partage du travail, thème fétiche des années Notat.

SON EMPRISE SUR L'APPAREIL

Bombardé au secrétariat général après quelques mois seulement passés à la commission exécutive, François Chérèque n'a guère eu le temps de découvrir les rouages de la confédération ni d'apprendre les ficelles du métier. Pas plus qu'il n'a pu choisir son équipe avant le congrès de Nantes, héritant d'une commission exécutive presque intégralement sélectionnée par sa prédécesseur. Pas très satisfait des choix de cette dernière, le nouveau leader a modifié la composition de la commission à la marge pendant son premier mandat. Exit, donc, Jean-François Trogrlic et Jean-Marie Spaeth, les mentors de Nicole Notat, dont les départs étaient annoncés, et Michel Jalmain, qui paie l'affaire des recalculés. Des départs compensés par les arrivées du métallo Marcel Grignard, nouvel homme fort, et d'Alexis Guénégo, un proche, ancien patron de la fédération Interco.

À Grenoble, le renouvellement va se poursuivre. Deux poids lourds, Jean-Marie Toulisse et Rémi Jouan, ainsi qu'Odile Beillouin et Yvonne Delmotte quittent l'équipe. Pour les remplacer, François Chérèque réactive la filière lorraine, avec Jean-Louis Malys, patron de la région. Et fait appel à deux femmes de l'appareil, Anousheh Karvar, numéro deux de la CFDT Cadres, et Laurence Laigo, une transfuge de l'Unsa spécialiste des questions européennes. Des profils de « techniciennes » plus que de « militantes » qui provoquent des grognements dans la maison. « J'ai besoin d'une commission exécutive qui se confronte davantage collectivement. Autrement, je me retrouve avec des gestionnaires, très compétents, mais un peu propriétaires de leur spécialité », répond le patron cédétiste. De ce décloisonnement, François Chérèque attend des débats plus nourris au sommet. Et donc une meilleure capacité collective à prendre les bonnes orientations. Nicole Notat, elle, n'avait pas trop ce souci. S'appuyant sur quelques poids lourds à la commission exécutive, en particulier Jean-Marie Spaeth et Jean-François Trogrlic, elle comptait surtout, pour diriger la confédération, sur une garde rapprochée de secrétaires confédéraux, tels Marie-Ange Piazza, son éminence grise, Jacques Bass (économique) et Michel Agostini (organisation interne). Pour nourrir sa réflexion et tester ses idées, elle disposait enfin d'un carnet d'adresses très fourni de responsables politiques, d'intellectuels ou de patrons. Un réseau que le leader cédétiste n'a pas encore tissé.

Reste que, pour asseoir son autorité, François Chérèque peut, contrairement à son homologue cégétiste, compter sur une organisation en état de marche. Les cotisations, centralisées, rentrent, malgré la légère décrue due aux départs des derniers irréductibles. Les fédérations, restructurées, sont globalement en phase avec l'évolution du monde du travail. Quant au positionnement réformiste de la centrale, il n'est plus contesté par personne. Autant d'éléments qui placent François Chérèque dans une situation interne favorable pour manœuvrer le navire cédétiste. À lui, désormais, de savoir en profiter. Pardonnables dans un premier mandat, les erreurs de jeunesse ne le sont pas dans un deuxième… S.B.

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Auteur

  • Stéphane Béchaux, Valérie Devillechabrolle