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Politique sociale

Le succès des collectifs de salariés licenciés bouscule les syndicats

Politique sociale | publié le : 01.04.2006 | Olivier Quarante

Ex-Moulinex, Metaleurop, Cellatex… Laissés sur le carreau après la fermeture de leur usine, ils se regroupent en association, pour défendre leurs intérêts et se soutenir moralement. Une démarche qui prend de l'ampleur et dérange les syndicats.

Cela fait trois ans que leur usine a fermé, mais les anciens de Metaleurop ne désarment pas. Regroupés au sein de l'association Chœurs de fondeurs, créée en mars 2003, plus de 600 d'entre eux viennent d'attaquer leur ancien employeur aux prud'hommes. « Dès le départ, agir en justice faisait partie des objectifs de l'association », explique Bernadette Szlapka, vice-présidente de Chœurs de fondeurs, qui a passé trente-trois ans sur le site de Noyelles-Godault. Patiemment, avec l'aide d'avocats, l'association a monté les dossiers individuels. « Comme les procédures peuvent être longues, on se regroupe en association », précise, pour sa part, Jean-Marie Michel, délégué syndical de STMicroelectronics à Rennes. Les anciens salariés de l'entreprise rennaise financent, via Boulevard de la lutte, créé début 2004, l'action en justice initiée par le comité d'entreprise et la CGT. Quant aux 212 anciens de Moulinex adhérents de l'association des salariés du site de Bayeux fermé en septembre 2001, qui contestent les critères de leur licenciement, ils vont bientôt passer en appel. « Sans l'association, beaucoup n'auraient pas eu l'information », précise Jean-Claude Chanroux, son président.

Chez Cellatex – dont la fermeture a défrayé la chronique durant l'été 2000 –, une association d'anciens est aussi à l'origine d'actions en justice. « Avec l'appui de l'union locale CGT, l'association a demandé réparation car nous savions très bien que le reclassement ne se ferait pas, souligne Maurad Rabhi, secrétaire général de la Fédération textile CGT. Résultat : le tribunal a donné raison aux 153 ex-salariés et leur a attribué 5 millions d'euros. »

Avant de défendre les intérêts des anciens salariés, ces associations jouent un rôle-clé dans le moral des troupes. Carole, qui compte parmi les 311 salariés du site rennais de STMicroelectronics licenciés au printemps 2004, a beau avoir retrouvé un emploi similaire, mais avec 50 % de salaire en moins, elle ne raterait pas le rendez-vous du mardi. Dans un appartement d'une HLM prêté par la ville de Rennes, elle et ses anciens collègues perpétuent le mouvement de solidarité qui s'est manifesté dès la fermeture. Le local a remplacé la tente, symbole du combat des ex-ST. « Boulevard de la lutte a formalisé la mobilisation, indique Maryse, technicienne process pendant quatorze ans chez ST et trésorière adjointe de l'association. Et puis nous n'étions pas syndiqués ; l'association a servi de lien entre nous. » Le QG est devenu un refuge. « On s'y retrouve comme hier, quand, explique Carole, seuls mes collègues comprenaient ce que je ressentais. » Ils sont encore 240 sur 460 adhérents au départ.

Même réflexe chez les Chœurs de fondeurs, où les anciens salariés ont adhéré en masse : 97 % des 812 employés ! « On se raccroche à l'association, explique Bernadette Szlapka. Il y aurait eu encore plus de misère si elle n'avait pas vu le jour. » Une idée que partage la sociologue Danièle Linhart, auteur de Perte d'emploi, perte de soi (éditions Érès), qui a travaillé pendant trois ans auprès d'anciens salariés de l'entreprise Chausson à Creil : « Si l'histoire s'arrêtait à la fermeture, ce serait désastreux. Les salariés ont un sentiment de grande incompréhension. Avec la fermeture, c'est leur monde qui disparaît. Participer à une association, c'est dire : on existe, quand la société actuelle veut les rendre invisibles. »

De fait, ce genre de structures foisonnent. En 1993, les licenciés d'Air Martinique se regroupent en association. En 1994, c'est au tour des anciens de Siemens. En 1996, les employés de Félix Potin créent un comité de sauvegarde. Des associations se montent également chez Xerox, Marks & Spencer, Cellatex, Moulinex… Un phénomène que l'Université européenne du travail a tenté d'analyser il y a trois ans. D'après son rapport, 79 associations ont été créées entre 1993 et 2002. Mais, combien fonctionnent réellement ? Difficile à dire. Elles continuent souvent d'exister seulement légalement. Les plus actives sont celles qui sont le fruit d'une forte mobilisation à l'annonce du plan social. Et de l'implication de meneurs, syndicalistes pour la plupart.

« À travers ces associations, les syndicats jouent leur rôle, estime la sociologue Danièle Linhart. Ils ont mis au jour la nécessité de ne pas laisser les salariés seuls dans la nature. » Des salariés qui ne se font guère d'illusions sur leur avenir. « On sait bien qu'il n'y aura pas de reclassements », affirme Jean-Marie Michel, délégué syndical de STMicroelectronics Rennes. « On a de plus en plus à s'occuper de gens qui ne sont pas reclassés », confirme Christian Larose, ancien responsable de la Fédération textile de la CGT, président de la section travail au Conseil économique et social. Du coup, certaines associations se sont lancées, depuis peu, dans l'outplacement, faisant valoir leur grande proximité avec les personnes à reclasser.

Si la consanguinité existe bel et bien, ces collectifs de salariés mettent en œuvre une nouvelle forme de revendication qui bouscule les syndicats. « Ils ratissent plus large, ce qui doit nous interpeller. Les syndicats ne prennent pas assez en compte la dimension humaine des plans sociaux », poursuit Christian Larose. Et Farid Ramou, délégué syndical CGT de Metaleurop Nord de 1993 jusqu'à la fermeture, en mars 2003, devenu président des Chœurs de fondeurs, de renchérir : « Pour l'intersyndicale, qui réunissait les cinq syndicats, c'était bien une question de représentativité des salariés. En tant qu'association, on a pu suivre le contrat de site mis en place par l'État. En tant que syndicat, nous n'aurions pas été sollicités. »

Mais la démarche ne fait pas l'unanimité. Farid Ramou a dû essuyer la grogne de ses collègues syndicalistes. « Cela a poussé les instances syndicales à s'interroger sur ces associations qui avancent sans afficher de couleur, alors qu'il faudrait que les syndicats soient dans l'anticipation plus que dans la revendication », dit-il. À l'avenir, « faudra-t-il les fondre dans les comités de chômeurs, sachant que ces derniers sont très axés sur le chômage de longue durée et ne correspondent pas à l'état d'esprit des gens nouvellement licenciés ? » s'interrogent Maurad Rabhi et Christian La rose, de la CGT.

Pour Pierre Cam, sociologue à l'université de Nantes, ancien inspecteur du travail, « ces associations marquent une transformation d'un certain militantisme syndical. Mais ce n'est pas simple à mettre en œuvre dans un paysage en pleine mutation, avec une administration qui ne joue plus aucun rôle dans les plans sociaux et des CE qui ont leur mot à dire mais ne sont pas toujours représentatifs du poids syndical… » Pas étonnant, alors, de voir les associations de salariés occuper l'espace délaissé.

Ces associations qui se mêlent de santé

Faisant valoir que le personnel était confronté au plomb, au cadmium et à l'amiante, l'association Chœurs de fondeurs a obtenu un suivi médical pour les ex-salariés de Metaleurop Nord. Sur le site nantais de l'entreprise Chantelle désormais fermé, les salariés devraient également obtenir un accompagnement par la médecine du travail. Ce type d'intervention reste encore marginal et souvent issu d'un rapport de force. Mais les mentalités progressent. Depuis 2002, la médecine du travail planche sur les problèmes de santé liés aux fermetures et restructurations.

Dès 1996, des médecins du travail de Grenoble pointent les symptômes dont souffrent les individus licenciés, à partir d'observations effectuées dans cinq entreprises. En 1999, un médecin du travail de Kodak montre une aggravation de l'état de santé au fur et à mesure de l'annonce de plans sociaux.

Une étude effectuée chez Renault à Vénissieux met, elle, en évidence les conséquences négatives des plans sociaux sur les salariés qui ne sont pas licenciés. Les conclusions de ces études font dire à Annie Touranchet, médecin du travail à Nantes, que « le meilleur plan social n'empêchera pas les problèmes de santé ». Selon ces études, un licenciement est un facteur supplémentaire de risque. « Les pathologies physiques qui apparaissent sont souvent l'aggravation d'un état, avec des problèmes cardiaques, des infractus, des accidents vasculaires, précise Annie Touranchet. On note surtout une dégradation de la santé mentale en raison d'une perte d'identité, de confiance en soi et aussi de la perte du collectif. S'ensuivent des maladies addictives (plus de tabac, plus d'alcool…), un amaigrissement ou une obésité, une consommation d'anxiolytiques en hausse… Des syndromes anxiodépressifs qui peuvent aller jusqu'au suicide. »

En attendant la création éventuelle d'une médecine de l'absence de travail, imaginée dans un rapport du Conseil économique et social en 1993, comme il existe une médecine du travail, des professionnels espèrent l'instauration d'une visite de sortie.

Auteur

  • Olivier Quarante