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Enquête

Pas simple de motiver les salariés au smic

Enquête | publié le : 01.12.2006 | Stéphane Béchaux

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26 % des smicards ont plus de dix ans d'ancienneté

Crédit photo Stéphane Béchaux

Dans le textile, la distribution, le nettoyage ou la restauration, on cherche la formule miracle pour motiver des employés désormais tous payés au plancher. Certaines entreprises exercent un chantage à l'emploi. D'autres s'essaient à la rémunération globale ou misent sur la formation.

Surtout pas Fabius ! Avec sa promesse d'augmentation immédiate du smic de 100 euros en cas de victoire à la présidentielle, l'ancien Premier ministre socialiste s'est fait beaucoup d'ennemis chez les DRH. Soulagés par sa défaite, ces derniers n'en restent pas moins au pied du mur. Car, à l'heure de l'ouverture des négociations salariales annuelles, impossible de prévoir de combien le smic augmentera en juillet. « On a fait nos projections sur une hausse de 3,5 %. Une hypothèse basse en cas de victoire de la droite, très basse si c'est la gauche qui passe », confie Véronique Audebert, DRH d'Armor Lux. De quoi avoir un impact sur les feuilles de paie de 107 des 400 salariés des Bonneteries d'Armor, la société phare du groupe. Son homologue des supermarchés Champion, Marc Veyron, se montre plus restrictif. Pour préparer ses négociations annuelles obligatoires, début 2007, il s'en tient à 2 % de hausse. Quitte, comme l'an passé, à être démenti par les faits. Actuellement, deux tiers de ses 29 500 employés sont payés 8,72 euros maximum l'heure. Soit, au mieux, 45 centimes de plus que le minimum légal…

Les nerfs des DRH à fleur de peau

Dans les secteurs consommateurs de main-d'œuvre peu qualifiée, les revalorisations successives du smic ont mis par terre toutes les grilles salariales. Incapables de répercuter l'explosion du coût du travail sur les différents niveaux et échelons, les DRH n'ont plus d'arguments pécuniaires à faire valoir pour motiver leurs troupes. À La Redoute, par exemple, le plus haut coefficient des employés ne s'écarte plus du salaire plancher que de 26 euros brut mensuels… Dans le textile, c'est la productivité qui flanche. Hier, dans les ateliers des Bonneteries d'Armor, il fallait dépasser 92 % de rendement pour gagner davantage que le smic. Aujourd'hui, il faut franchir les 100 %. « Une ouvrière moyenne n'a plus aucun intérêt à augmenter la cadence parce qu'elle sait qu'elle ne pourra pas gagner plus », reconnaît Véronique Audebert. Elles sont désormais 15 % dans ce cas, contre 5 % auparavant. Un pourcentage qui augmente mécaniquement chaque mois de juillet.

Pas un secteur qui ne subisse ce tassement des rémunérations. Chez Flunch, en salaire horaire de base, seuls 40 centimes séparent désormais une « assistante de service » de la petite jeune fraîchement recrutée. Et pourtant, la première possède les clés du restaurant et encadre l'équipe, quand la seconde débarrasse les plateaux sur les tables ou fait la plonge… « Pour décoller du smic, il faut être agent de maîtrise. Il y a un tel écrasement des salaires que les anciens ont l'impression de payer pour les nouveaux », analyse Claude Strohl, délégué central cédétiste de la chaîne de restauration à bas prix. Même problématique dans les 115 succursales Feu vert, fortes de 1 800 salariés. « On embauche des jeunes mécaniciens au même tarif que les plus anciens. Les anomalies deviennent criantes, et difficilement acceptables », admet Franck Bichet, le DRH. En juillet dernier, 450 employés – des caissières, des techniciens-monteurs et quelques conseillers de vente – sont montés dans la voiture-balai du smic. Certains avaient pourtant été augmentés quelques semaines auparavant.

Chantage à l'emploi

Dur, dans ces conditions, de motiver les troupes. La méthode la plus utilisée ? Celle du bâton : montrer la pile de CV des postulants et ouvrir grande la porte aux éventuels mécontents. Une technique sommaire, dont l'efficacité dépend de la situation de famille du salarié et des caractéristiques du marché de l'emploi local. Au Sofitel Thalassa Miramar de Biarritz, rien à attendre de la promotion interne. Femmes de chambre, serveurs, plongeurs, chefs de rang, coiffeuses, esthéticiennes, réceptionnistes, plus de la moitié des 130 salariés de l'hôtel sont smicards. Sans oublier les hydrothérapeutes embauchés par le centre de thalasso depuis l'arrivée d'Accor au capital, fin 1997. « Notre direction n'a aucun attachement pour le personnel. Elle sait que, derrière, elle peut compter sur une source de main-d'œuvre inépuisable », analyse Pierre Serres, le délégué cégétiste. Chez Feu vert, la motivation des caissières n'est pas davantage un sujet d'inquiétude. « On n'a aucune difficulté à les remplacer. C'est d'ailleurs une population assez fidèle car leurs conditions de travail sont moins stressantes que dans la grande distribution », explique le DRH. Retenir les mécaniciens, qui rêvent tous d'entrer chez un concessionnaire, est une autre paire de manches.

Champion tente de tirer ses salariés vers le haut en leur faisant passer des certificats de qualification. Mais un poste clé d'adjoint au chef de rayon n'est payé que 0,53 euro de plus l'heure. Sans compter la prime d'ouverture de 50 euros mensuels.

Cette GRH a minima n'est l'apanage d'aucun secteur. Dans la sécurité, par exemple, inutile de chercher les bonnes pratiques. « La concurrence se fait sur les prix, pas sur les personnes. Les entreprises n'anticipent rien, pas même les hausses du smic, car les marchés se gagnent sur le moins-disant », explique Omar Kerriou, responsable de la branche à la Fédération CFDT des services. Résultat, l'écrasante majorité des salariés, du vigile débutant au maître chien confirmé, reste cantonnée au coefficient 120, à 8,31 euros l'heure. Et leurs patrons ont d'autant moins de raisons de les bichonner qu'ils se les échangent régulièrement – ils y sont tenus par leur convention collective – au gré des appels d'offres gagnés ou perdus. Un mécanisme copié sur celui de la propreté, plus efficace pour protéger l'emploi que développer les compétences. « Ça ne pousse pas à investir dans la formation du personnel. Car l'employeur qui perd un marché perd aussi les salariés qu'il a formés à ses frais », décrypte Georges Guilbert, le P-DG de Guilbert Propreté.

Packages salariaux

Pour ceux qui souhaitent réellement mobiliser les salariés du bas de l'échelle, il existe pourtant des leviers. Communiquer, par exemple, sur la rémunération globale. Prime de vacances ou de fin d'année, intéressement aux résultats, réserve de participation, mécanismes d'épargne salariale, mutuelle, prévoyance… Les outils mis en place dans la plupart des grandes entreprises permettent de creuser des écarts parfois significatifs avec le salaire plancher. « On a distribué l'an dernier l'équivalent de 50 % du résultat brut sous forme de primes de progrès, de participation ou d'actionnariat salarié », insiste ainsi Christian Leroy, le DRH de Flunch. « Sur l'année, grâce aux primes et à l'intéressement, nos salariés touchent 14 à 17 fois le smic mensuel », assure Florence Nony, directrice du développement social et des rémunérations de Redcats Group. « L'an dernier, on a distribué près de 0,8 mois de participation et 460 euros d'intéressement », détaille Marc Veyron, de l'enseigne Champion.

Hélas, ces arguments ne calment ni les revendications salariales ni le turnover. Aléatoires, irréguliers, différés, illisibles, ces revenus complémentaires cumulent trop de handicaps aux yeux des employés pour qu'ils les prennent en compte. « Il nous remonte du réseau une très forte demande de “cash”. Nos salariés raisonnent en salaire net mensuel, pas en rémunération annuelle globale », observe Florence Nony. Le phénomène serait particulièrement marqué chez les moins de 30 ans. « Les jeunes ont une vision au mois le mois, très court-termiste. Certains sont même capables de démissionner pour ne plus payer les 17 euros de cotisation obligatoire à la mutuelle », relève Franck Bichet. Pas la peine, dès lors, de vanter les vertus d'un Perco ou d'un plan d'épargne de groupe : les smicards ont un trop faible pouvoir d'achat pour se permettre de patienter. En 2005, chez Champion, plus de 90 % des employés ont opté pour le paiement immédiat de leur prime d'intéressement. Et renoncé du même coup aux 50 % d'abondement offerts en cas de versement sur le Perco ou le PEG.

La qualification, encore et toujours

Pour retenir leurs meilleurs éléments, les employeurs gardent d'autres atouts dans leur manche. Repositionnement sur les postes les moins pénibles, plannings de travail plus accommodants, heures complémentaires ou supplémentaires octroyées à discrétion…

En jouant sur les conditions de travail, les managers savent parfaitement récompenser les personnes clés sans débourser le moindre centime. Ou, à l'inverse, pousser les moins performants et les plus revendicatifs vers la sortie. En misant sur la soif de reconnaissance des uns et la volonté de progresser des autres, ils parviennent encore à convaincre leurs subordonnés de monter en grade plutôt qu'en salaire. Chez Flunch, près de 500 collaborateurs ont ainsi passé, depuis deux ans, leur certificat de qualification professionnelle. « C'est un élément de motivation qui fidélise », se félicite Christian Leroy, le DRH. « Reconnaître les qualifications, c'est bien. Mais, comme les salariés n'en voient pas le résultat sur leur salaire, la motivation est faible », tempère Claude Strohl (CFDT).

D'autres enseignes misent aussi sur la promotion interne. « On offre des perspectives de carrière. Bon nombre de gens entrés à la base deviennent de vrais professionnels en se formant aux techniques du nettoyage », assure Georges Guilbert, le patron de Guilbert Propreté. À défaut de pousser les salaires très au-delà du smic, la branche de la propreté tente de doper les qualifications. Cinq certificats de qualification professionnelle viennent de voir le jour, et d'autres sont en préparation.

L'attrait du travail

Dans la grande distribution aussi, on essaie de tirer les employés vers le haut. Près de 120 salariés de Champion passent chaque année leur certificat pour devenir employés commerciaux de niveau 4. « Accéder à ce niveau, c'est prendre des responsabilités nouvelles. Par exemple, en devenant adjoint au chef de rayon », argumente le DRH. Un poste clé rémunéré… 0,53 euro de plus l'heure, sans compter la prime d'ouverture (50 euros mensuels). « Il y a encore de la motivation pour passer au niveau 4. L'attrait n'est plus à l'égard du salaire, mais du contenu du travail », note Jean-Christophe Brévière, délégué syndical CFTC. Pour l'instant. Car, dans les rangs des DRH, on est bien conscient qu'offrir des titres, et des responsabilités, ne suffira pas éternellement à calmer la grogne sur le pouvoir d'achat.

Les petits plus qui complètent le smic

Distribuer du pouvoir d'achat sans alourdir la masse salariale… Pour calmer les appétits, les entreprises multiplient les zakouskis.

Les réductions d'achat. Tanné par ses syndicats, Carrefour a suivi l'exemple d'Auchan. Ses employés disposent désormais d'une carte maison qui leur offre 5 % de réduction sur leurs achats dans l'enseigne (10 % chez Auchan). Interdiction, en revanche, d'utiliser les bons d'achat réservés aux clients . L'astuce a coûté leur poste à des caissières d'Auchan voilà deux ans.

La mutuelle. Attention, arme à double tranchant ! Offrir une bonne couverture santé à ses salariés est un argument choc pour fidéliser les pères et les mères de famille. Mais un frein pour recruter ou fidéliser les jeunes sans enfants, qui cotisent sans en profiter.

Les primes de vacances ou de fin d'année. Un vrai « plus » pour les salariés qui, sous conditions d'ancienneté, peuvent engranger entre 0,5 et 1 mois de salaire supplémentaire. Moins intéressant, toutefois, qu'un treizième mois : la prime n'inclut pas les heures sup dans son calcul et n'est pas proratisée pour ceux qui quittent l'entreprise avant son versement.

Les frais de déjeuner. Les titres-restaurants, qui grèvent la feuille de paie, n'emportent pas l'adhésion générale. Manger chez soi ou apporter sa tambouille reste moins onéreux. Les primes de panier, elles, font l'unanimité : plus de cash pour les salariés, moins de charges pour leur patron.

26 % des smicards ont plus de dix ans d'ancienneté

Auteur

  • Stéphane Béchaux