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Enquête

Santé Oubliée, la maîtrise des dépenses

Enquête | publié le : 01.04.2007 | J.-P. C.

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La consommation médicale flambe (en millions d'euros 2000)

Crédit photo J.-P. C.

Liberté tarifaire, franchise pour les patients, contrôle des bénéficiaires de la CMU… le modèle libéral de Sarkozy s'oppose au service public de Royal. Chantre de la régionalisation, Bayrou est plus ambigu. Aucun ne s'attaque à l'équilibre à long terme du système.

Dernier dossier clé : celui de l'assurance maladie. Notre système de santé est l'un des plus performants au monde en termes de qualité des soins, mais c'est aussi l'un des plus coûteux (10 % du PIB, contre 2,4 % en 1960), ce qui nous place derrière les États-Unis (15 %) mais loin devant l'Italie (8,4 %) et le Royaume-Uni (7,7 %). C'est également l'un des plus inflationnistes : depuis le début de la décennie, la dépense totale de santé connaît une nette accélération, avec un taux de croissance annuel supérieur à 5 %.

Rémunérés à l'acte, les médecins libéraux jouissent d'un droit de tirage quasi illimité, la Sécu remboursant consultations et ordonnances pratiquement les yeux fermés. L'arme tarifaire dont dispose la Cnam est inefficace puisque les médecins peuvent la contourner en multipliant les actes médicaux. Par ailleurs, la liberté de consultation permet aux assurés de cultiver un « nomadisme médical », inutile sur le plan sanitaire et coûteux sur le plan financier. Enfin, faute d'une restructuration de la carte hospitalière conduite avec détermination, l'enveloppe budgétaire des hôpitaux est éparpillée dans un trop grand nombre d'établissements.

Résultat : notre système connaît une dérive financière préoccupante. L'assurance maladie affiche depuis plus de dix ans des déficits constants (plus de 11 milliards d'euros en 2004, 8 milliards en 2005 et 6 milliards cette année). Le montant total des déficits cumulés en dix ans s'élève ainsi à 52,5 milliards d'euros. Les gouvernements se sont longtemps contentés de combler les déficits grâce à un cocktail combinant hausse des cotisations et baisse des prestations. Depuis quelques années, ils s'efforcent de mettre en œuvre des réformes structurelles agissant sur plusieurs leviers :

1. Améliorer la gouvernance du système : le plan Juppé de 1996 puis la réforme Douste-Blazy de 2004 ont nettement renforcé les pouvoirs du directeur de la Cnam, désigné par le gouvernement, dans le pilotage de l'assurance maladie. Par ailleurs, une coordination plus étroite a été mise en place par cette dernière réforme avec les organismes de protection sociale complémentaire et les professions de santé.

2. Encadrer les dépenses de soins : le plan Juppé a institué le principe d'une enveloppe budgétaire votée chaque année par le Parlement et déclinée par grands secteurs (hôpital, médecine de ville) et par professions de santé. Las ! L'Ondam, le plafond de dépenses voté en début d'année par le Parlement, est systématiquement enfoncé et les mécanismes de reversement d'honoraires des médecins, en cas de dérapage, ont été invalidés par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel.

3. Engager une réforme de la carte hospitalière : pour ce faire, le plan Juppé a confié à des agences régionales de l'hospitalisation le soin de répartir les crédits aux hôpitaux et aux cliniques, en privilégiant ceux qui garantissent la meilleure qualité de soins au moindre coût.

4. Mettre en place un parcours de soins : pour éviter le nomadisme médical, l'expérimentation par le plan Juppé du médecin traitant – rôle d'aiguillage vers l'hôpital ou les spécialistes confié au médecin généraliste – a été généralisée en 2004.

5. Responsabiliser davantage les assurés : en plus du forfait hospitalier, la réforme Douste-Blazy a mis à leur charge une participation de 1 euro par consultation ou acte médical.

6. Maîtriser la facture pharmaceutique : le plan Juppé a encouragé la prescription et la distribution des médicaments génériques, bon marché, tandis que le déremboursement des médicaments dont le service médical rendu est jugé insuffisant est devenu plus systématique qu'auparavant.

D. B.

Ce que proposent leurs programmes

1/ Le financement de l'assurance maladie

Sarkozy : Le président de l'UMP est le seul des trois principaux candidats qui propose d'affecter une recette nouvelle au système de santé. Elle prendrait la forme d'une franchise de « quelques euros » par acte de soins, dont le montant annuel serait plafonné, applicable à l'ensemble des assurés sociaux, moyennant des aides pour les plus défavorisés et non remboursable par les assurances complémentaires. Nicolas Sarkozy prévoit également, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, la prise en charge du déficit de l'année n-1 par un accroissement de la franchise des cotisations d'assurance maladie, de la CSG, ou par des déremboursements supplémentaires.

Royal : Parmi ses 100 propositions, la candidate socialiste se fait fort d'« assurer le financement pérenne de l'hôpital public » en veillant notamment à « l'égalité territoriale d'accès aux soins » mais n'indique pas comment elle compte y parvenir. Au chapitre des recettes, le projet législatif du Parti socialiste pour 2007 prévoyait la suppression de la franchise de 1 euro par consultation et l'annulation du relèvement du forfait hospitalier instaurés en 2005. Le pacte de Ségolène Royal n'en fait pas état, mais prévoit, en revanche, la mise en œuvre d'une carte santé pour les jeunes de 16 à 25 ans ouvrant droit à une consultation gratuite par trimestre et la contraception gratuite pour les femmes de moins de 25 ans. Des initiatives qui entraîneront, selon elle, des économies, car « la prévention dès le plus jeune âge est très efficace ». Ségolène Royal prône la réapparition des dispensaires de soins, en particulier dans les zones rurales.

Bayrou : Le programme du président de l'UDF ne prévoit aucune mesure spécifique pour assurer le financement du système de santé français, dont il juge les performances « impressionnantes », pour un coût pour la collectivité d'un tiers inférieur au système de santé américain.

2/ Le pilotage du système de santé

Sarkozy : Sujet de consensus apparent entre les trois candidats, la création d'agences régionales de santé est préconisée par chacun d'eux. Le président de l'UMP prévoit ainsi de confier le pilotage du système de santé à de telles structures régionales regroupant les différents organismes existants (agences régionales de l'hospitalisation créées par la réforme Juppé de 1995, mais aussi directions régionales et départementales d'affaires sanitaires et sociales, Urcam, etc.) sous l'autorité d'une agence nationale de santé.

Royal : La candidate socialiste propose la création d'agences régionales de santé pour organiser et distribuer les crédits selon les besoins des populations concernées.

Bayrou : Chaud partisan de la régionalisation, le candidat UDF propose un programme qui comporte, sur le plan sanitaire, la création d'agences régionales de santé dont la compétence sera étendue à la médecine de ville et à la prévention ainsi qu'à la formation des professionnels de santé. Elles répartiront les crédits en fonction des besoins sanitaires des différentes régions. Autre structure nouvelle, le conseil régional de santé regroupera les professionnels de santé, les gestionnaires de caisse d'assurance maladie et les usagers.

3/ La médecine de ville

Sarkozy : Le candidat UMP veut revaloriser les honoraires des médecins, ce qui constitue une vraie ligne de démarcation entre lui et ses concurrents. Il souhaite conforter le rôle des généralistes en alignant leurs honoraires sur ceux des spécialistes. Nicolas Sarkozy est également partisan d'accorder une certaine liberté tarifaire aux professionnels de santé qui accepteraient, en contrepartie, de jouer le jeu de l'évaluation, de la diffusion des bonnes pratiques et de la formation.

Royal : Plus attachée au devenir de l'hôpital public qu'à celui de la médecine de ville, la candidate socialiste veut organiser des états généraux de la santé afin de promouvoir une meilleure articulation entre le système hospitalier et ce qu'elle nomme « la médecine de proximité ». Elle se propose également d'affecter prioritairement les médecins dans les régions en pénurie, quitte à revenir sur le sacro-saint principe de liberté d'installation. En revanche, pas un mot dans ses 100 propositions sur le mode de rémunération de la médecine libérale, alors que le projet du PS évoque la fin du paiement à l'acte.

Bayrou : En ce qui concerne la médecine libérale, le président de l'UDF n'apporte aucune précision sur les conditions d'exercice ou les revenus des médecins. François Bayrou ne se déclare guère convaincu par le dispositif du médecin traitant, au cœur de la réforme de 2004 adoptée par le gouvernement Villepin et qui érige, selon lui, le généraliste en « distributeur de tickets d'accès gratuit au spécialiste ». Il le voit davantage « comme acteur et responsable de la prévention ».

4/ La dépendance

Sarkozy : En rupture avec sa famille de pensée libérale, qui est plutôt favorable à un système assurantiel, le président de l'UMP envisage la création d'une cinquième branche de sécurité sociale afin de prendre en charge la perte d'autonomie.

Royal : Le programme de la candidate socialiste comprend de nombreuses mesures en faveur des personnes âgées dépendantes. Tout d'abord, il prévoit d'abroger la loi que le gouvernement Raffarin a fait voter en 2004 instaurant la journée nationale de solidarité. Ségolène Royal souhaite faire prendre en charge par la solidarité le financement de l'assistance à domicile des personnes âgées dépendantes et celui des structures collectives. Elle propose, elle aussi, la création d'une cinquième branche de Sécurité sociale. Son programme prévoit également d'augmenter sensiblement le nombre de places, de renforcer la formation du personnel et d'ouvrir ces structures aux emplois jeunes et aux emplois de solidarité.

Bayrou : Le candidat UDF propose d'étendre le nombre de prises en charge de personnes âgées dépendantes, d'une part grâce à de plus amples réductions d'impôts pour les dépenses afférentes à la dépendance, d'autre part par une promotion de l'assurance dépendance auprès des personnes peu dépendantes mais peu solvables.

5/ La couverture maladie universelle

Sarkozy : Le président de l'UMP préconise d'instaurer un suivi renforcé des parcours de soins des bénéficiaires de la couverture maladie universelle. D'abord dans un souci de contrôle des dépenses, puisque cette mesure voisine avec la lutte contre « les fraudes, les excès et les abus » dans le système de santé, qui représentent, selon Nicolas Sarkozy, un montant équivalent à celui du déficit de l'assurance maladie.

Royal : La candidate socialiste entend réaffirmer le droit à la CMU et lutter contre le refus de soins pratiqué par certains médecins.

Bayrou : Le programme du candidat est totalement muet sur la couverture maladie universelle.

6/ Le handicap

Sarkozy : Sur ce chapitre, le candidat UMP n'a rien ajouté au programme législatif de son parti, qui souhaite clarifier les modalités d'attribution des aides, allocations et conditions de ressources aux personnes handicapées afin de garantir une réelle égalité dans les conditions d'existence. L'UMP refuse également d'assimiler l'allocation aux adultes handicapés (AAH), considérée comme « une juste compensation pour ceux qui ont un handicap objectif », à un minimum social.

Royal : Le pacte présidentiel de la candidate socialiste prévoit d'étendre le bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés à certaines maladies évolutives. Le projet du PS pour 2007 préconise une réforme constitutionnelle afin que chaque texte de loi prenne en compte le handicap.

Bayrou : Le président de l'UDF promet une grande loi en faveur de l'insertion des personnes handicapées qui s'appuie notamment sur une révision des aides et du régime fiscal actuels. François Bayrou souhaite mettre également en œuvre une allocation universelle par points, cumulable et dégressive avec le retour à l'emploi. Elle se substituerait aux prestations existantes et serait versée par un seul et même organisme. Pour les personnes qui ne peuvent pas travailler, le candidat UDF veut revaloriser progressivement, à hauteur du smic, le montant de l'allocation aux adultes handicapés.

JEAN DE KERVASDOUÉ, ÉCONOMISTE DE LA SANTÉ
PS et UMP laisseront filer les dépenses

L'examen de ce qu'il serait flatteur d'appeler « programme » des propositions du PS et de l'UMP en matière de santé provoque un mal de tête analogue à celui d'un regard porté sur des photos floues. Ce flou ne doit rien au hasard : il préserve une éventuelle future liberté de manœuvre. En outre, préciser la taille de l'objet serait superflu, car ils ne pensent pas qu'il faille maîtriser la croissance des dépenses de santé. Nicolas Sarkozy le dit clairement : « Cessons de regarder l'augmentation des dépenses de santé comme un drame ! » Quant à Ségolène Royal, elle, comme le PS, présente un catalogue de mesures onéreuses. Quand on demande aux responsables de ce parti comment ils pourraient réconcilier les déclarations de maîtrise de la dette publique et le financement des promesses électorales – notamment en matière de santé –, ils répondent que cette contradiction sera résolue par la « croissance retrouvée ». Toutes les études montrent que même une forte croissance de 3 % en moyenne sur cinq ans ne résoudrait qu'un tiers des questions de financement si les dépenses suivent leur pente actuelle. Première conclusion, donc, les dépenses de santé vont continuer de croître au moins les premières années. Outre ce choix essentiel, quelques points se retrouvent dans les deux programmes : l'importance de la recherche biomédicale, l'augmentation de la rémunération des généralistes, l'évaluation de la qualité, le maintien à domicile des personnes âgées, la référence, aussi rituelle qu'imprécise, aux bienfaits de la prévention… Toutefois, ce n'est pas le même sujet qui est représenté. Le PS favorise la santé publique, et notamment la médecine scolaire et la médecine du travail. Il soigne sa base hospitalière. Ségolène Royal annonce qu'elle veut « assurer de façon pérenne le financement de l'hôpital public ». Est-ce un retour à la dotation globale que cette « mise à plat » de la réforme de la tarification ? Calculée comment ? En outre, elle déclare, comme Villiers, que les hôpitaux locaux doivent demeurer et s'occuper des personnes âgées ; c'est le cas depuis plus de trente ans.

Elle suggère aussi un retour aux dispensaires dans les « zones où il n'y a pas de médecins ». Y aura-t-il des dispensaires sans médecins ? Sinon, comment les fera-t-on venir ? Plus clairement, elle annonce la gratuité totale des soins pour les moins de 16 ans et des conditions particulières pour les moins de 25 ans. Ces dernières mesures pourraient se justifier, toutefois elles favorisent les assureurs complémentaires. Y aura-t-il compensation ? Comment ? Tout cela est fort imprécis, mais nul doute qu'un tel programme accroîtrait le déficit de l'assurance maladie.

L'UMP insiste sur d'autres aspects, toujours en nuance, mais toujours dans la même direction : une certaine liberté tarifaire, l'instauration d'une franchise, la généralisation de la tarification à l'activité… Autrement dit, l'UMP se prépare à laisser filer les dépenses de santé en contrôlant les dépenses d'assurance maladie.

En apparence plus bref, le programme de François Bayrou, non seulement n'est pas inflationniste à court terme, mais aborde la question de manière plus structurelle : il propose une véritable régionalisation de l'organisation des soins. Cette idée, si elle était menée à bien, pourrait résoudre à la fois la question de la maîtrise et celle de la réduction des inégalités régionales.

BRUNO PALIER, CHERCHEUR AU CEVIPOF (SCIENCES PO)
Sarkozy-Royal, liberté ou égalité

En matière de santé, il existe un vrai clivage entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, les deux principaux candidats à l'élection présidentielle. Une différence fondamentale qu'on pourrait résumer dans la proposition du président de l'UMP d'instaurer une franchise annuelle à la charge des ménages alors que la candidate socialiste prône la gratuité des soins pour les jeunes de 16 à 25 ans, à concurrence d'une consultation par trimestre. Leurs programmes respectifs sont donc parfaitement cohérents puisque chacun d'entre eux s'inspire d'un modèle classique d'organisation du système de santé.

Ségolène Royal s'inscrit en droite ligne du modèle beveridgien, en vigueur dans les pays nordiques, en proposant de mettre en œuvre un service public de santé, tandis que Nicolas Sarkozy s'inspire du modèle libéral, ou bismarckien, en vigueur dans les pays anglo-saxons. Ce faisant, il ne remet pas en cause le système de santé français puisque celui-ci repose déjà sur la liberté : la liberté de choix du patient et celle d'exercice du médecin. Il considère la santé comme un secteur d'activité postindustriel, qui peut être générateur d'une croissance économique forte, à travers la recherche médicale et l'industrie pharmaceutique, ce qui explique qu'il ne souhaite pas freiner les dépenses de santé. En proposant une franchise annuelle, en promettant des hausses d'honoraires aux médecins, il demande clairement aux Français de payer le surcoût. Et ces derniers sont prêts à le faire.

Mais le corollaire, c'est l'aggravation des inégalités, qui sont déjà fortes dans le domaine de la santé. Il a été souvent démontré que l'avance de frais est l'une des raisons principales qui font que les plus pauvres retardent leur entrée en soins. Une situation à laquelle la couverture maladie universelle (CMU) n'a pas remédié puisque ses bénéficiaires se heurtent à des refus de soins de la part de certains médecins.

Le credo de Ségolène Royal, c'est, à l'opposé, l'égalité des Français face aux soins. Son programme repose largement sur le développement de la politique de prévention. Mais le système de santé français n'est pas structuré pour cela, tant en termes de modalités de rémunération des médecins que d'organisation de l'offre. Il faudrait donc creuser la piste de la mise en place d'un service public de la santé, ce qui nécessiterait une remise en cause (partielle) des libertés inscrites au cœur de notre système.

La position de François Bayrou est plus ambiguë, qui propose une délégation aux régions de la gestion du système de santé. Cela est censé favoriser une meilleure coordination des soins, mais le candidat UDF ne dit rien des orientations à donner pour la prise en charge de l'augmentation prévisible des dépenses de santé (privées ou collectives ?) ni des arbitrages entre toujours autant de liberté ou plus d'égalité. Liberté ou égalité pour la santé, voilà donc les choix auxquels devraient être confrontés les électeurs en avril prochain.

Auteur

  • J.-P. C.