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“Il y a un vrai risque d'extension non maîtrisée du portage salarial”

Actu | Entretien | publié le : 01.06.2007 | Stéphane Béchaux

Auteur d'un récent rapport pour Gérard Larcher, cette juriste plaide pour un meilleur encadrement des pratiques. À réserver en priorité aux seniors.

Le portage salarial est-il bordé juridiquement ?

Non. Aucune pratique n'est à l'abri du risque juridique. Un professionnel qui cherche lui-même ses missions, négocie ses tarifs et exécute les prestations n'est pas un salarié en situation de subordination. Difficile aussi de considérer que la société de portage est employeur si elle ne fournit pas de travail ! À supposer même que l'on considère le porté comme un salarié, on tombe sous le coup de l'interdiction du prêt de main-d'œuvre à titre lucratif et exclusif. Plusieurs sociétés ont été condamnées sur ce fondement.

Les leaders du portage salarial ont développé une véritable ingénierie sociale afin de rentrer dans les clous…

Quelques sociétés ont signé des accords d'entreprise. Leurs dirigeants en ont fait un argument choc pour prouver leur qualité d'employeurs. Mais ces accords sont peu protecteurs. Un exemple : certains patrons proposent des CDI à leurs consultants, avec paiement de jours de prospection en fin de mission. C'est séduisant, mais sans grand intérêt dans la mesure où les portés financent eux-mêmes ces jours. Au lieu d'être payés, disons, 1 000 euros pour dix jours de travail, ils sont payés 1 000 euros pour treize jours de travail, dont trois de prospection. Finalement, ils touchent autant. Sans être davantage sécurisés. Les sociétés, elles, se protègent en insérant des clauses d'objectifs dans les contrats pour pouvoir licencier rapidement ceux qui ne retrouvent pas de mission.

Les salariés portés peuvent-ils prétendre aux allocations chômage ?

En théorie, non. Le TGI de Paris jugera d'ailleurs bientôt une affaire opposant plusieurs portés d'ITG, le leader du secteur, aux Assedic de Paris, qui ont refusé de les indemniser au motif qu'ils ne justifiaient pas de vrais contrats de travail. Mais, en pratique, les refus d'indemnisation sont rares car les agents des Assedic n'ont pas les moyens de contrôler la réalité de la relation de travail. Sauf à répertorier les sociétés de portage. Celles qui se sont fait connaître en tant que telles sont, du coup, plus exposées que celles, plus nombreuses, qui pratiquent le portage sans le dire.

Faut-il s'attendre à un développement des contentieux dans les prochaines années ?

Oui, mais pas à une explosion. Car, dans cette relation triangulaire, tout le monde trouve assez bien son compte. Le porté garde son indépendance avec un statut de salarié, le client externalise la prestation et la société de portage prend sa marge. Reste que cette convergence d'intérêts n'est pas à l'abri d'incidents. En cas de défaut dans l'exécution de la prestation, par exemple. Ou en cas de refus d'indemnisation par les Assedic. Le porté peut alors se retourner contre sa société de portage, qui lui a fait de fausses promesses, ou contre l'ANPE, qui ne l'a pas informé suffisamment des risques de la formule.

Les salariés portés sont-ils conscients du flou juridique qui entoure le portage ?

La plupart sont mal informés. Beaucoup voient dans le portage la formule idéale pour bénéficier des avantages du salariat et de l'indépendance. Un message que les sociétés de portage relaient en boucle, mais qui est un leurre. Car le portage coûte souvent plus cher que de se mettre à son compte. Et, depuis la loi Dutreil d'août 2003 qui a légalisé les couveuses d'entreprises, les porteurs de projet disposent d'une formule plus sûre pour tester leur activité. Elle offre les mêmes droits qu'aux salariés pendant la phase de préparation et de lancement et des allocations chômage en cas d'échec.

Faut-il en passer par le législateur ?

Oui, à l'évidence. Car le portage n'est plus cantonné aux prestations intellectuelles. Il se diffuse dans tous les secteurs d'activité, y compris la coiffure ou le bâtiment, et s'étend désormais à toutes les tranches d'âge, pas seulement les seniors. Sans intervention du législateur, il y a un vrai risque d'extension non maîtrisée du phénomène.

Préconisez-vous l'interdiction pure et simple de cette forme d'emploi ?

Non. Le portage ne rentre pas bien dans les cadres existants mais peut répondre à certains besoins, en particulier pour les seniors. On peut le concevoir comme un système transitoire, mais pas comme une forme d'emploi durable. Sauf si le législateur envisage, un jour, de remettre à plat les principes du régime d'assurance chômage, l'organisation de la Sécurité sociale et la définition du contrat de travail.

LISE CASAUX-LABRUNÉE

Professeur à l'université Toulouse I.

PARCOURS

Spécialisée dans l'analyse des nouvelles formes d'emploi, cette prof de droit intervient auprès des pouvoirs publics en qualité d'experte.

À la demande du cabinet de Gérard Larcher elle a coordonné, d'octobre 2005 à décembre 2006, une grosse étude juridique visant à analyser et à évaluer les pratiques de portage salarial.

Auteur

  • Stéphane Béchaux