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Vie des entreprises

Comment Charles Beigbeder libère les énergies chez Poweo

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.01.2008 | Fanny Guinochet

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Des effectifs toujours croissants

Crédit photo Fanny Guinochet

Croissance exponentielle oblige, le patron du fournisseur d’énergie multiple les embauches. Pour motiver les talents, il compte sur une organisation souple, l’actionnariat salarié, les stock-options… Le dialogue social, lui, est encore en gestation.

Charles Beigbeder aime aller vite. En 2002, ce centralien profite de la brèche ouverte par la fin du monopole d’EDF pour lancer Poweo, premier opérateur indépendant d’électricité et de gaz. Cinq ans après, la start-up est devenue une entreprise de plus de 450 personnes – en comptant la dernière acquisition d’Orevade en décembre –, dont le chiffre d’affaires frôle 350 millions d’euros. Et même si, en septembre dernier, l’opérateur n’a pas atteint les 100 000 abonnés annoncés, tous les indicateurs sont au vert pour franchir le cap en 2008. Cette expansion, Charles Beigbeder sait qu’il est impératif de l’accompagner. À lui de conserver un rythme soutenu d’embauches tout en fidélisant les salariés, de maintenir une bonne cohésion tout en gardant intactes la cadence et la motivation… D’ailleurs, les ressources humaines, ce chef d’entreprise de 43 ans est un peu tombé dedans quand il était petit. Son père, Jean-Michel, était un chasseur de têtes réputé.

Icône d’une nouvelle génération de patrons, engagé à Croissance Plus, dont il fut le président, puis au Medef, Charles Beigbeder assume ses choix libéraux : actionnariat, stock-options… En décembre, il remettait au secrétaire d’État chargé de la Consommation, Luc Chatel, une étude sur les perspectives du modèle « bas coût ». Il accompagnait aussi Nicolas Sarkozy en Algérie. Moins « show-biz » que son frère, Frédéric, cet entrepreneur au cheveu discipliné et à la cravate toujours assortie à ses yeux bleus n’en reste pas moins médiatique.

1-Recruter

Pour la seule année 2007, les effectifs de Poweo ont quadruplé, passant de 90 à 450 personnes. « Embaucher est sans conteste notre priorité », explique Philippe Cabanes, chargé des recrutements. En témoigne la cinquantaine d’annonces qui défile en permanence sur le site Web de Poweo : chargé de projet éolien, chargé de projet solaire, ingénieur électricien, risk manager gaz, logisticien, expert facturation, chargé d’études qualité… Longtemps, les commerciaux ont représenté plus de la moitié des troupes. « Et pour cause ! Au début, le pari était surtout de nous faire connaître, de développer la marque, de démarcher les entreprises, surtout les PME. Depuis juillet 2007, avec la libéralisation du marché aux particuliers, on cible aussi les individuels », souligne Charles Beigbeder. Ces derniers mois, la partie production se densifie. Les besoins en compétences techniques augmentent. À l’aide de chasseurs de têtes, Poweo ne se prive pas d’aller piocher chez ses concurrents : Veolia, Suez, Gaz de France… Par ailleurs, les ressources humaines encouragent volontiers la cooptation.

La solution consiste aussi à rapatrier des savoir-faire via des acquisitions. Dans l’éolien ou le gaz, Charles Beigbeder a multiplié les rachats de sociétés. Ces opérations ont occasionné des embauches, ne serait-ce que pour encadrer le projet et assurer le lien. Des recrutements sont également prévus pour la centrale électrique qui ouvrira début 2009 à Pont-sur-Sambre (Nord), même si la construction et l’exploitation ont été confiées à Siemens et à des sous-traitants.

« En 2008, plus de 120 embauches sont déjà planifiées », assure Françoise Fusiller, la DRH. Deux tiers d’entre elles porteront sur des profils confirmés, soit des opérationnels avec plus de cinq ans d’expérience. Le dernier tiers vise les jeunes diplômés. Chez Poweo, les grandes écoles ont la cote. « On croise beaucoup de polytechniciens, de HEC, d’ESCP. De nombreux jeunes viennent pour la personnalité médiatique et charismatique de Charles, lui-même centralien », note un jeune cadre.

« Les embauches à venir sont des créations de postes au sein de nos différentes implantations, au siège parisien ou en région », précise Françoise Fusiller. Pas question de traîner. Le processus, qui compte trois à cinq entretiens, ne dépasse pas deux à trois semaines entre le premier rendez-vous et la décision de recrutement. « Quand nous identifions des profils exceptionnels, il nous arrive même, pour éviter de les laisser filer, d’organiser les rencontres sur quarante-huit heures. Une fois la proposition faite, le candidat peut recevoir dans la journée son contrat de travail », assure la DRH.

2-Intégrer et réussir la cohésion

« La structure se veut minimaliste et souple, avec très peu d’échelons hiérarchiques », expliquait dès 2006 Charles Eon, l’ancien directeur du trading and sourcing. Et l’entreprise a beau grossir, Charles Beigbeder tient à maintenir cette simplicité organisationnelle. Car, il en est persuadé, une organisation trop rigide et verticale tue l’efficacité, ralentit la prise de décisions et dilue les responsabilités. Poweo est structuré en cinq grands pôles, tous rattachés à la direction générale : le commerce, le trading and sourcing, la finance, le pôle « amont », qui s’occupe des différentes constructions énergétiques, et la gestion des risques… Chaque ensemble a son propre directeur. Des business units indépendantes s’y reportent. La plupart des managers qui les pilotent ont bâti eux-mêmes leur poste. « Il leur a fallu inventer, créer les outils et délimiter leur périmètre », relate un salarié. Le revers de la médaille ? « Chacun a essayé d’imposer sa vision, sans se soucier de l’environnement global. Dans une boîte plus assise et traditionnelle, des process, des évaluations auraient joué les garde-fous. Là, parfois, c’est parti dans tous les sens », poursuit le salarié. Un prestataire va plus loin : « Entre les départements, la communication ne passe pas forcément. D’où quelques frictions, doublons ou ratés. » Le tir a vite été rectifié : des référents ont été désignés pour faire le lien entre les équipes.

Afin de maintenir une cohésion, Charles Beigbeder prend soin de s’adresser directement à tous les salariés. Chaque trimestre, il les réunit dans les locaux de la cantine parisienne pour faire un point stratégique. S’ensuit une soirée privée dans une boîte de nuit branchée. « Tout le monde vient. C’est convivial et ça permet de lâcher les tensions, de créer d’autres liens. Même si l’ambiance start-up du début tend à s’estomper, l’enthousiasme demeure. La majorité des gens ici sont trentenaires », assure un salarié du trading. Transfuge d’une entreprise du CAC 40, un quadra confirme : « J’ai troqué la sécurité pour le plaisir. Certes, ici prime la culture du challenge, car seul le résultat compte. Certes, je bosse beaucoup plus qu’avant et les journées sont longues. Mais au moins je ne perds plus de temps dans les circonvolutions politiques, les réunions à rallonge… C’est un management d’inspiration américaine. »

Certains ont plus de mal à s’adapter. « Le turnover a été tellement fort dans certains services que, tous les six mois, un nouveau chef débarquait. C’était infernal. Sans compter que quand ça ne va pas, on vous montre vite la porte. Chez Poweo, il faut savoir faire ses preuves sans tarder. » D’ailleurs, Charles Beigbeder ne s’en cache pas : inutile de garder des gens qui ne font pas l’affaire. Le chef d’entreprise n’est pas favorable à l’allongement de la période d’essai. « Je sais que cette question est posée dans le cadre de la négociation sur la modernisation du marché du travail, mais, sans me désolidariser du patronat, j’estime que trois mois suffisent pour voir si la personne convient. »

3-Associer les salariés

Chez Poweo, un technicien hot line, dont la tâche est de réceptionner les appels des clients et d’apporter une assistance technique, est embauché à partir de 25 00 euros par an. S’y ajoute une part de variable de 10 %. Les collaborateurs sont tous payés sur douze mois et bénéficient d’une rémunération indexée sur des objectifs individuels et collectifs – deux mois de salaire en moyenne. Sans oublier quelques primes pour récompenser les pics d’activité, comme en juillet dernier, lors du lancement en Bourse.

En octobre, Charles Beigbeder proposait un plan d’actionnariat spécifique à ses salariés : « J’ai souhaité que chacun puisse bénéficier de la valeur qu’il va contribuer à créer. » Car, si les employés de Poweo disposaient déjà d’un plan d’intéressement, une augmentation de capital leur a été réservée. Fin novembre, à la clôture, 87 personnes avaient souscrit pour plus de 1 million d’euros, en achetant des actions dont le prix d’acquisition était fixé pour eux à 25,45 euros. Charles Beigbeder y voit une façon habile de fidéliser les salariés. Il n’empêche, les collaborateurs n’ont qu’un poids relatif sur les prises de décisions stratégiques. Ils ne sont plus aussi impliqués qu’au début : « Au lancement de Poweo, nous étions une douzaine de personnes, tout le monde avait une part, des stock-options… Je détenais 45 % du capital et les collaborateurs 55 %. Puis, quand nous avons dû lever des capitaux pour nos projets et que nous sommes entrés en Bourse, il était difficile d’être aussi généreux. Peu à peu, le capital est devenu plus éclaté, il s’est dilué », reconnaît le dirigeant. Aujourd’hui, Charles Beigbeder dispose de 13 % des parts ; la Verbund (l’EDF autrichienne), de 30 % ; les salariés et autres dirigeants, de 15 %. Le reste est entre les mains d’investisseurs financiers. Parmi les autres outils qui permettent d’associer les collaborateurs au développement de l’entreprise, Charles Beigbeder cite volontiers les stock-options, qu’il a toujours utilisées. Mais Poweo ayant atteint le plafond du fonds commun de placement autorisé, le P-DG a désormais moins de latitude pour y recourir.

4-Structurer les RH

Françoise Fusiller a pris ses fonctions en mars dernier. La première DRH a pour tâche de structurer un service des ressources humaines digne de ce nom, là où jusqu’à présent les missions étaient dispersées, tant la priorité était tournée vers la stratégie. Quatre personnes travaillent à ses côtés, une cinquième va être embauchée. Outre le recrutement et l’intégration, il lui incombe de mettre en place de véritables process de carrière et les outils ad hoc. « Nos nouvelles recrues ont un fort potentiel d’évolution. Elles doivent s’attendre à gérer très vite des périmètres beaucoup plus larges », souligne cette quadra qui participe au comité exécutif.

Tout le pari consiste à accompagner ces managers. En novembre, une cinquantaine ont été conviés à un séminaire de deux jours à Honfleur. Une première. Mais, pour ces opérationnels, pas facile de se poser, portable éteint, pour réfléchir à la reconnaissance et à la motivation de leur équipe ou de plancher sur la manière de faciliter la communication interpôles. « En 2008, nous allons les faire monter en compétences : un module de formation au management leur sera proposé », assure Françoise Fusiller. La DRH sait qu’il lui faut jeter les bases d’un dialogue social. En 2007, les deux premiers accords ont été signés, sur l’intéressement et le temps de travail (voir entretien page 40). D’autres thèmes, comme la formation ou les salaires, ne pourront faire longtemps l’économie d’une discussion collective.

Reste que la présence syndicale est limitée. Dans cet environnement libéral, les vocations ne sont pas encouragées. Bien au contraire. « Nous avons au moins un délégué. Car il a bien fallu négocier les accords. Si paradoxal que cela puisse paraître, nous avons demandé à un salarié, en l’occurrence le secrétaire du CE, de rejoindre une centrale. Il a choisi la CFTC », note Charles Beigbeder. Homme de lobbying, stratège sans pareil, le patron de Poweo a encore du chemin à parcourir dans les arcanes du social.

Repères

Exponentielle, telle est la croissance de Poweo. Depuis le début de l’activité à proprement parler en 2004, son chiffre d’affaires est passé de 18 millions à 350 millions d’euros fin 2007. Dès 2005, Poweo comptait 50 000 clients, parmi lesquels le Stade de France, Adecco, Air France et même le ministère de l’Économie… En revanche, convaincre les particuliers est plus délicat. Poweo vise le million de clients en 2010.

2002

Création de Poweo : une douzaine de personnes y travaillent.

Juillet 2004

Ouverture du marché de l’électricité aux professionnels. L’activité démarre. Entrée en Bourse.

2005

Poweo propose une offre gaz. Atteint 50 000 clients.

2006

Poweo prend pied dans l’éolien. Partenariat avec Verbund, l’EDF autrichienne.

Juillet 2007

Ouverture du marché aux particuliers. Poweo triple ses effectifs.

Des effectifs toujours croissants
ENTRETIEN AVEC CHARLES BEIGBEDER, P-DG DE POWEO
“Il est urgent de mieux organiser la rupture du contrat de travail”

Comment pensez-vous atteindre votre objectif de 100 000 clients annoncé en 2007 et reporté à 2008 ?

Nous avons enfin obtenu le 11 décembre la réversibilité totale des tarifs. Jusqu’alors, quand on quittait EDF, il n’était pas possible de revenir dans les mêmes conditions chez l’opérateur historique. Inscrit dans la loi, ce principe avait découragé les particuliers de nous rejoindre en 2007. C’était une limite absurde à la concurrence. La France était le seul pays à imposer de telles contraintes. J’ai consacré une bonne partie de mon temps à faire du lobbying pour modifier la loi. Ce nouvel environnement va donner un nouvel élan à notre activité.

Vous recrutez beaucoup, comment attirez-vous les talents ?

Le nom Poweo commence à être connu. Mais c’est surtout notre projet, l’enthousiasme, l’ambition d’être dans une entreprise en pleine croissance qui séduit. Certains quittent de grands groupes confortables pour tenter l’aventure. Afin d’éviter la forte perte de sens que l’on constate dans les grandes entreprises, je ne vois qu’une solution : l’organisation en commandos, en business units, en tribus autonomes. Je veille à conserver des circuits hiérarchiques réduits. Côté rémunérations, nous nous assurons d’être au-dessus du marché.

Au sein de Croissance Plus, vous défendiez la création d’un nouveau type de CDI avec clause de résolution. Qu’attendez-vous des négociations sur la modernisation du contrat de travail ?

Le CDI est indispensable, mais il est urgent de mieux organiser la rupture. Elle doit être moins traumatisante, avec des solutions à l’amiable. Le recours en justice doit être maintenu mais avec une simplification des procédures. Le système actuel est injuste : ceux qui devraient être protégés – les non-cadres – ne le sont pas. On sait bien que seuls les cadres peuvent négocier une transaction. Il faudrait généraliser ce recours à tous.

Vous avez beaucoup milité contre les 35 heures. Faut-il toujours les supprimer ?

Il n’est plus possible de revenir en arrière, de « détricoter » tous ces accords… Même s’il est tout de même bizarre d’avoir imposé une durée similaire à tous les secteurs d’activité. Pour autant, ma réflexion a évolué sur le sujet. Cinq semaines de congé, c’est court ! Personnellement, j’en prends plus. Il me semble « fair » que mes équipes soient au même régime. Les gens sont plus détendus, travaillent mieux. Chez Poweo, nous étions à 35 heures pour les employés et au forfait jours pour les cadres, ce qui revenait à environ cinq semaines. Nous avons lancé la négociation. Aujourd’hui, tout le monde a environ sept semaines avec dix jours de RTT. À la fin de l’année, on fait le bilan et les jours non pris peuvent être payés avec des allégements fiscaux. Pas besoin d’un compte épargne temps. C’est une façon simple d’utiliser la loi Tepa. Celui qui veut travailler plus peut gagner plus.

Au Medef, vous plaidez pour un patronat moins « consanguin ». Comment y parvenir ?

Je trouve choquant que les conseils d’administration des très grandes entreprises soient toujours composés par les mêmes dirigeants. D’où les problèmes évidents de gouvernance. Comment peut-on s’opposer à la rémunération d’un patron quand il participe à votre propre conseil ? Un code de bonne conduite pourrait instaurer plus de transparence en limitant le nombre de représentations à deux maximum… Sans compter que le job prend du temps. Un P-DG opérationnel ne peut pas s’y consacrer pleinement. Faire appel à des retraités peut être une solution. Il serait bon aussi d’ouvrir les conseils à l’international.

Justement, sur la rémunération des patrons, quelle est votre position ?

Il ne faut surtout pas légiférer car il sera toujours possible de contourner les textes. C’est au conseil d’administration de statuer. À mon sens, le fixe ne doit pas être trop élevé, tout en couvrant bien sûr les frais d’une vie de patron dans une capitale… On vit très (trop ?) bien à Paris avec 3 millions d’euros par an ! La part variable, elle, doit absolument rester liée à la performance. Tout comme les indemnités de rupture, qui doivent être définies en fonction de la réussite.

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Fanny Guinochet

CHARLES BEIGBEDER

43 ans.

1988

Diplôme de Centrale.

1989

Entre chez Matra.

1990 à 1997

Banquier d’affaires.

1997

Cofonde Selftrade, pionnier du courtage en ligne.

1999

Entre à Croissance Plus, qu’il préside de 2004 à 2006.

2002

Fonde Poweo.

2005

Candidat à la présidence du Medef ; entre au conseil exécutif.

Auteur

  • Fanny Guinochet