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Un outil de la politique salariale

Dossier | publié le : 01.03.2008 | S. D.

Les grandes entreprises voient dans l’épargne salariale un moyen commode de doper les rémunérations sans toucher aux salaires. Mais ces cagnottes, plébiscitées, ne réduisent pas les disparités.

Au rayon desserts de Picard Surgelévbs, la participation fait figure de cerise sur le gâteau. En moyenne, le traiteur préféré des citadins pressés verse l’équivalent de deux mois de salaire à ses 3 500 employés. Dans un secteur où les rémunérations restent faibles, les caissiers profitent aussi de leur prime d’intéressement, environ 500 euros, pour remplir leur Caddie en fin d’année. « En complément de notre plan d’épargne d’entreprise (PEE) classique, nous réfléchissons aussi à la mise en place d’un plan d’épargne retraite collectif (Perco) », précise Joël Amelot, le DRH de l’enseigne. Autre exemple : à Carrefour, 210 000 employés (actifs et anciens) ont placé plus de 1,1 milliard d’euros dans le plan d’épargne groupe, constitué de six fonds communs de placement (FCP). En vue d’harmoniser sa politique de rémunération à l’échelle internationale, PSA a, pour sa part, étendu depuis 2002 son système d’épargne collectif à l’Espagne, au Royaume-Uni, à l’Allemagne et au Portugal.

La loi de 2006 sans grands effets. En 2005, « 8,4 millions de salariés ont bénéficié d’au moins un dispositif d’épargne salariale », d’après une étude de la Dares. Au total, près de 14,5 milliards leur ont été distribués, soit un surcroît de rémunération équivalant à 7,5 % de la masse salariale des bénéficiaires, contre 6,5 % en 2000. Tous dispositifs confondus, les intéressés ont touché un magot de 2 187 euros en moyenne, contre 1 678 euros en 2000. La Dares note aussi que « l’épargne salariale reste toujours largement répandue dans l’automobile, l’énergie, les banques et les assurances, où elle vient en complément de salaires par ailleurs plus élevés que la moyenne. Elle l’est moins, en revanche, dans la construction et les services à la personne, où figurent plus de PME ». Et, excepté les télécommunications, peu de branches ont profité de la possibilité offerte par la loi du 30 décembre 2006 en faveur du développement de la participation et de l’actionnariat salarié pour négocier des accords à leur niveau.

Conçue à l’origine (l’intéressement remonte à 1959) pour associer les salariés aux résultats de leur entreprise, l’épargne salariale s’est complexifiée. De l’intéressement au Perco, en passant par les PEE et les Pere (plan d’épargne retraite d’entreprise), les grandes entreprises ont appris à intégrer ces dispositifs dans leur politique sociale. En plus d’aider leurs salariés à se constituer un complément de retraite, elles y voient surtout l’occasion, en ces périodes de rigueur salariale, d’augmenter les rémunérations en conservant une indéniable flexibilité. « Sans parler de substitution aux salaires bannie par la loi, les entreprises ont aujourd’hui plutôt tendance à verser des primes d’intéressement et de participation, par définition aléatoires, plutôt que d’augmenter les salaires », observe Antoine Rémond, économiste et consultant au sein du cabinet Alpha.

Le groupe Axa, qui décline une impressionnante gamme de produits d’épargne salariale (intéressement, participation, PEE, Perco, Pere), a ainsi versé l’équivalent d’un mois de salaire en intéressement et en participation, soit entre 9 et 10 % de la masse salariale en 2007. Par comparaison, les hausses de salaire ont représenté 3 % de la masse salariale. « Les augmentations individuelles de salaire sont conditionnées à la performance des salariés, explique Didier Aujoux, directeur financier et analyste RH chez Axa France. En revanche, l’intéressement et la participation sont liés aux performances de l’entreprise et récompensent un effort collectif. »

Faisant rimer l’épargne avec l’actionnariat salarié, l’assureur a poussé plus loin la logique d’association. Pour inciter ses employés à atteindre son plan « ambition 2012 », qui prévoit notamment la multiplication par deux du chiffre d’affaires et le triplement du résultat opérationnel, Axa leur a distribué gratuitement 50 actions et doit normalement réitérer l’opération en 2009. Aujourd’hui, 6 % de son capital est détenu par le personnel. Air France s’appuie aussi sur ces mécanismes d’épargne pour conforter son actionnariat salarié, qui détient 10 % de son capital. La compagnie aérienne, qui verse une maigre prime d’intéressement (en moyenne 1 000 euros par an depuis 2005), augmente la mise de son personnel (À hauteur de 1 420 euros brut maximum pour un versement de 4 000 euros brut) lorsque les sommes sont placées dans ses actions. Un patriotisme économique qui a en partie aidé le constructeur Eiffage à résister à l’offre publique d’échange de l’espagnol Sacyr.

Des cagnottes qui creusent les inégalités. Quelle qu’en soit la nature, ces compléments de rémunération sont largement plébiscités par les salariés et les candidats à l’embauche. « Les cadres issus des grandes entreprises abordent régulièrement les questions de mutuelle, de prévoyance et d’épargne salariale lors des entretiens d’embauche », note Jean-Paul Berquand, directeur de Lafarge SA. Le cimentier propose aujourd’hui un fonds spécifique en actions et un plan d’épargne retraite. « Lors de nos campagnes de recrutement, nous présentons systématiquement nos dispositifs d’épargne salariale », explique Joël Amelot, à Picard Surgelés, qui recrute entre 300 et 500 personnes par an. Reste que ces cagnottes creusent en partie les inégalités salariales. Et pour trois raisons, précise Antoine Rémond, du cabinet Alpha. « Dans la mesure où l’intéressement est généralement indexé sur les salaires, les plus élevés touchent de plus grosses primes. Les salariés les plus modestes sont souvent contraints de débloquer leurs primes d’intéressement et bénéficient donc moins des systèmes d’abondement de leur entreprise, lié au placement. Enfin, les ménages non imposables ne bénéficient évidemment pas des exonérations fiscales. »

Pour pallier ces disparités, des entreprises comme Axa ont donc opté pour un calcul de l’intéressement favorable aux plus bas salaires. À l’inverse, chez Air France, les pilotes ont négocié seuls une révision des règles privilégiant les salaires les plus élevés, au grand dam des personnels au sol, des hôtesses et des stewards. Comme quoi l’épargne salariale est bel et bien devenue un enjeu du dialogue social.

Auteur

  • S. D.