Chacun a pu le vérifier : on demande de plus en plus de travail au consommateur. Et, avec Internet, souligne Marie-Anne Dujarier, auteur de cet essai sur un phénomène désormais massif dans nos sociétés de services, le processus d’externalisation des tâches peut se poursuivre jusque chez le consommateur lui-même. « Puisque ce consommateur coproduit, peut-on regarder sa contribution comme un travail ? » s’interroge la sociologue du travail, qui a repéré cinq formes de transmission au consommateur d’une part du processus de production : décrypter lui-même l’offre commerciale qui lui convient le mieux, assembler le produit (modèle Ikea), réaliser soi-même la prestation (pompe à essence automatique, place de cinéma sur une borne), réparer les pannes (par l’intermédiaire des dispositifs d’assistance technique), enfin, assumer l’aléa du temps (logique des files d’attente).

Faire travailler le consommateur n’est toutefois pas si simple. Il faut créer une motivation, lui apprendre une sorte de travail d’équipe, lui proposer des modes d’emploi compréhensibles pour ne pas le décourager d’emblée, fuir toute interaction avec lui… D’une certaine façon, il est indispensable de former ce consommateur pour qu’il se coule dans le rôle que l’on attend de lui. Mais, en même temps, une « relative incompétence de l’utilisateur joue en faveur de la profitabilité de l’entreprise ». La généralisation du numérique va sans doute entraîner une nouvelle révolution dans la relation producteur-consommateur. « La compétence sociale dans le maniement de ces outils peut donner le sentiment que les professionnels n’en ont plus le monopole », observe la chercheuse du Cnam. Des nouveaux outils qui permettent de faire travailler le consommateur « malgré lui » en le transformant en « cobaye ». C’est donc une configuration inédite de division du travail qui se met en place. Elle provoque un chamboulement des métiers d’une ampleur souvent sous-estimée, ainsi que du management des entreprises. Elle est source d’un accroissement des inégalités entre les consommateurs « compétents » et les autres, et accroît l’individualisation du lien social. Face à cette transformation sociale, le consommateur reste relativement démuni, ne disposant pas des instruments traditionnels de résistance ou d’opposition des salariés travailleurs. Ce livre aura donc eu le mérite de lever le voile sur une mutation sociétale majeure.