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Les syndicats se divisent sur le Cetu

Conditions de travail | publié le : 27.11.2023 | Benjamin d'Alguerre

Cyril Chabanier, président de la CFTC

Cyril Chabanier, président de la CFTC : "Le Cetu ne doit pas devenir un outil de pouvoir d'achat."

Crédit photo DR

Parmi les négociations à laquelle le Gouvernement vient d’inviter les partenaires sociaux, celle sur le compte épargne-temps universel (Cetu) suscite peu d’engouement chez les organisations syndicales. À l’exception de la CFDT, pour laquelle ce nouvel outil s’inscrirait dans le portefeuille des droits sociaux qu’elle appelle de ses vœux depuis 2014, les centrales se montrent réservées quant à cet objet encore non défini et non financé sur fonds publics, qu’elles perçoivent au mieux comme inutile, au pire comme un dispositif dangereux de monétisation des congés payés...

C’est une négociation qui s’annonce sans enthousiasme. Le sujet du compte épargne-temps universel, sur lequel le Gouvernement vient d’inviter les partenaires sociaux à engager une négociation parallèle à celles prévues sur l’emploi des seniors, la prévention de l’usure au travail et les transitions professionnelles, ne déchaîne pas les passions dans les centrales syndicales.

Sur le papier, pourtant, le projet semble ambitieux et Emmanuel Macron en avait fait l’un de ses thèmes de campagne en 2022 : étendre le compte épargne-temps (CET), créé en 1994, mais surtout utilisé par les grandes entreprises, à l’ensemble des salariés et ainsi leur permettre d’accumuler congés, RTT, heures supplémentaires, voire 13e mois et autres primes, pour les convertir, le moment venu et en fonction des accords d’entreprises ou de branches, en journées de repos supplémentaires, d’alimenter un plan d’épargne d’entreprise (PEE) ou de les récupérer lors de la fin de contrat sous forme de monnaie sonnante et trébuchante.

Un dispositif « sur le modèle des retraites complémentaires »

Sauf qu’ici, les orientations du document de cadrage sont claires : aucun financement public ne pourra être engagé pour valoriser ce compte universel. Et dans ces conditions, seules la CFDT et dans une moindre mesure la CFTC semblent y croire. Pour la première, il s’agit de donner corps à un droit universel qu’elle avait inscrit dans ses grandes orientations dès son congrès marseillais en 2014. Pour la seconde, l’occasion de ressusciter le compte d’engagement citoyen (CEC), un outil dont elle avait défendu la création en 2016 lors de la négociation sur le compte personnel d’activité (CPA), grand projet social – et quasi mort-né – du quinquennat Hollande censé regrouper dans un portefeuille unique le compte personnel de formation (alors alimenté en heures), le compte personnel de prévention de pénibilité (C3P, remanié en 2017 pour devenir un compte professionnel de prévention – ou C2P – amputé de quatre critères de pénibilité sur dix) et le CEC qui ambitionnait de récompenser l’engagement associatif dans le cadre d’activités d’utilité publique par des compléments au CPF.

Tel qu’imaginé par la CFDT, le Cetu pourrait devenir un dispositif étendu à l’ensemble des salariés, intérimaires, employés de TPE et CDD compris fonctionnant « sur le modèle de la retraite complémentaire, avec un système de points associé à un coefficient multiplicateur », détaille Isabelle Mercier, secrétaire nationale à la vie et à la santé au travail au sein de la centrale de Belleville. Un dispositif qui pourrait être piloté par l’Agirc-Arrco, la Caisse des dépôts et consignations, voire un organisme paritaire ad hoc susceptible de naître de la négociation. À ce stade, le jeu reste ouvert.

Mort-né ? 

Mais la non-monétisation du dispositif pourrait restreindre le champ des possibilités. « Le Cetu sera à Emmanuel Macron ce que le CPA a été à François Hollande : un bel objet… qui sera remisé dans un placard pour y prendre la poussière ! » prophétise Jean-François Foucard, secrétaire national chargé de l’emploi et de la formation à la CFE-CGC. Principale faiblesse de l’outil, selon la confédération des cadres : son non-financement public, ce qui a toutes les chances d’en faire un dispositif mort-né. « Qui investira dans un compte épargne qui ne rapporte rien de plus que sa mise de départ ? Au mieux, ce sera un outil réservé aux bas salaires, ce qui présente peu d’intérêt », enchérit-il.

« Un outil d'équilibre des temps de vie, pas de pouvoir d'achat »

L’autre risque que contient le document d’orientation gouvernemental, c’est la possibilité de monétiser congés, RTT, voire cinquième semaine de congés payés pour transformer le temps en argent. Et pour les partenaires sociaux, c’est niet : « Le Cetu ne doit pas devenir un outil de pouvoir d’achat ! » prévient Cyril Chabanier, président de la CFTC. Même son de cloche du côté de FO, qui n’a jamais soutenu la création du CET en son temps : « À quoi aboutit ce compte épargne-temps ? À offrir des heures de travail gratuites à l’employeur en échange de facilités pour partir plus tôt du travail, par exemple. Pourquoi gratuites ? Parce que les heures supplémentaires inscrites dans un CET ne sont pas majorées de 25 %. C’est une modalité qui permet de déroger au Code du travail, or nos prédécesseurs se sont battus pour obtenir des congés payés. Ils doivent être pris, de même que les jours de congé hebdomadaires ! » avertit Michel Beaugas, secrétaire confédéral à l’emploi et aux retraites chez Force ouvrière.

À la CFDT aussi, on se dit méfiant vis-à-vis de la tentation de transformer le CET en objet de monétisation des congés. « Il existe un risque que les gens sacrifient des congés pour favoriser leur pouvoir d’achat au prix de leur santé. Ce n’est pas acceptable. Ce n’est pas avec le compte épargne-temps que l’on doit régler les problèmes de rémunération : c’est le rôle des augmentations salariales et du partage de la valeur. Le Cetu devra rester un dispositif d’aménagement du temps de travail et d’équilibre des temps de vie », résume Isabelle Mercier.

Du côté patronal, les visages sont actuellement plutôt fermés. La CPME, traditionnellement opposée à l’idée des droits transférables, risque de monter au créneau contre le Cetu alors que le Medef, de son côté, attend la négociation pour poser ses propositions sur la table. À suivre.

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre