L’accord signé récemment avec Microsoft pour créer une plateforme de carrière d’une qualité inédite n’est que l’un des moteurs technologiques sur lesquels compte s’appuyer Adecco pour maintenir son leadership. Pierre Matuchet, directeur général commercial, marketing et digital de Adecco Group France, livre à Entreprise & Carrières un tour d’horizon des innovations en cours.

Comment l’IA va-t-elle changer le travail ?

Pierre Matuchet : C'est une révolution. Un moment d'accélération, sûrement aussi fort qu'a été l'arrivée d'Internet, sûrement aussi plus rapide. Il va y avoir des choses très positives, d’autres moins et puis, au final, on va voir apparaître les progrès qui vont être générés. Chez Adecco, nous ne sommes pas dans une optique booléenne. L’IA ne sera ni le paradis dont rêvent certains ni l’enfer que redoutent d’autres. Au sein du Groupe Adecco, nous devons réussir à développer cette innovation grâce à l'humain, notamment en gardant en tête que le secteur des RH est l’un de ceux qui a été le moins disrupté par le digital. Si vous lisez Alvin Toffler, ce doit être la quatrième révolution industrielle ou la cinquième. Elle va être plus forte, plus rapide, mais il faut garder la tête froide, analyser les avantages et inconvénients. Chez The Adecco Group, nous estimons que ce sera très similaire aux transformations liées au digital, et qu'il va falloir continuer de faire ce qu'on a fait pour le digital, c'est-à-dire innover, évoluer avec l'IA générative, tout en ne perdant pas de vue que le cœur de notre métier et de notre raison d'être est l'humain. Toutefois, on sait que l’IA interviendra à des moments différents de ceux qui mobilisent le digital. Certains pensaient que les applis mobiles ne seraient utilisées que par les cadres supérieurs, que ça ne marcherait jamais auprès des métiers dits à « cols-bleus ». Nous sommes maintenant à 90 % d'utilisation de notre appli mobile chez nos intérimaires. Tout cela va évoluer par l'usage.

Quelle place gardera l’humain ?

P. M. : Aujourd'hui, dans la relation de recrutement, il y a toujours ce moment d'entretien entre un candidat et un recruteur. Il y a toujours ce moment où l'on essaie de comprendre les soft skills et les hard skills. Si vous êtes infirmier, je vais considérer tous vos diplômes et je vais être capable de définir vos hard skills. Mais c'est au cours de l'entretien que je vais pouvoir déterminer si vous êtes capable de travailler en équipe, si vous arrivez à l'heure, si vous êtes consciencieux. Cela restera le cœur de notre métier. L’intelligence artificielle joue désormais et va jouer un rôle dans des domaines comme la rédaction des offres d’emploi. C'est une tâche parfois chronophage pour les recruteurs. L'utilisation de l'IA générative va permettre de gagner beaucoup de temps sur ce type d'exercice et permettre ainsi à nos recruteurs de se concentrer sur l'essentiel de leur métier : la relation à nos candidats, à nos intérimaires et à nos clients.

Quels outils d’IA avez-vous déjà mis en œuvre ?

P. M. : Nous avons testé un prototype d’IA avec une start-up, Golden Bees, et nous avons constaté qu’il est possible de produire plus vite des textes de meilleure qualité avec une meilleure tonalité et qui nous permettent d'être beaucoup plus efficaces dans le volume et la pertinence. Le gain de temps est précieux : sur la rédaction d'une offre d'emploi, un recruteur gagne en moyenne 70 % de temps en comparaison avec une rédaction sans l'IA. C'est déjà en place dans une bonne partie de nos agences. Toujours parmi les impacts au quotidien, il y a aussi le CV Maker qui permet de rédiger un CV complet, très facilement grâce à l’utilisation de la voix. La fonctionnalité vocale aide vraiment à améliorer la qualité des CV. Les candidats peuvent mieux mettre en avant leurs expériences et le CV est de meilleure facture que s’ils l’avaient rédigé eux-mêmes. C’est intéressant, cela permet de refaire rapidement le CV de certains candidats directement dans les agences. Le CV Maker avec l'appui de l’IA générative est en accès libre depuis mi-août et nous avons des volumes importants de CV générés grâce à cet outil, plus de 11 000 à ce jour, alors que nous n’avons pas investi dans une campagne publicitaire. Notre objectif est de fluidifier le parcours qui va du CV à l’emploi, et de permettre à tous les candidats d'avoir un CV complet et attractif, car cet outil est inclusif grâce à la commande vocale.

Quelle est la stratégie du Groupe Adecco sur l’IA ?

P. M. : The Adecco Group a constitué une task force dédiée à l’IA qui se réunit chaque semaine autour d’Alexandre Viros, président de l'entreprise en France. C’est un sujet très important et nous avons signé début octobre avec Microsoft un partenariat mondial pour disposer d’outils d’IA adaptés à nos besoins. Ce partenariat va nous permettre au premier semestre 2024 de construire la meilleure plateforme de carrière pour nos candidats, qui va être à la fois la plus agile et la plus efficiente, pour répondre à leurs besoins et à ceux de nos clients. Ce sera un outil différenciateur dans l’univers des RH et qui va transformer le rapport à l’IA aussi. Dans un an et demi, on peut imaginer que le « prompt » fera partie du passé. Les outils d’aujourd’hui tels que ChatGPT ou Midjourney vont s’intégrer dans les applications existantes. L'IA va nous permettre de mieux connaître les intérimaires, de franchir plus rapidement les tâches administratives et de recueil d'information et donc de leur proposer plus vite des offres plus adaptées, mais aussi des formations nouvelles pour qu’ils trouvent à la fois un job plus rapidement et qu’ils soient mieux payés. Il ne faut pas oublier que nous avons deux clients : l’intérimaire et l’entreprise. L’IA va nous aider à bâtir un meilleur paradigme à deux dimensions afin de proposer de meilleures trajectoires à nos intérimaires et de meilleurs candidats aux entreprises.