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« Les tensions sur le recrutement nous préoccupent beaucoup » (Hubert Mongon, UIMM)

Marché de l'emploi | publié le : 24.09.2021 | Benjamin d'Alguerre

Malgré le redémarrage des activités, la métallurgie souffre de tensions sur les matières premières mais aussi sur le recrutement. Comment la branche active-t-elle ses dispositifs emploi-formation pour trouver les compétences dont ses entreprises ont besoin ? Entretien avec Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM.

Quelle est la situation de l’industrie en cette sortie de crise sanitaire ?

Hubert Mongon : Aujourd’hui, la production industrielle a repris des couleurs au fur et à mesure que les carnets de commandes se remplissent à nouveau. L’activité a retrouvé son niveau d’avant-crise même si on constate une hétérogénéité de situations selon les entreprises et les secteurs. Dans certaines branches, les carnets de commandes explosent alors qu’ailleurs, comme dans l’automobile ou l’aéronautique, des difficultés persistent. Le niveau des investissements est d’environ 10% supérieur à celui de 2020. D’une manière générale, le paysage économique a été bien préservé par les dispositifs mis en place par les pouvoirs publics et les branches. Dans la métallurgie, nous avons engagé très tôt une réflexion avec les organisations syndicales sur l’activité partielle longue durée (APLD) puis avons poursuivi avec un travail sur le plan de relance dont le Gouvernement s’est inspiré. Cependant, des nuages viennent noircir ce tableau depuis quelques mois : les tensions qui pèsent sur les approvisionnements de certaines matières premières (métaux, plastiques…) et sur les semi-conducteurs provoquent une inflation des prix qui déstabilise l’industrie, font baisser les moyennes de production, contraignent certains sites à suspendre des équipes de nuit à cause de la pénurie de semi-conducteurs, multiplient les délais de livraison par cinq, voire par dix et entraînent une explosion des frais de transport, due aux désordres logistiques mondiaux. Les meilleures illustrations de la situation, ce sont ces images de kilomètres de containers de stockage vides dans les grands ports chinois alors que dans le même temps, les tarifs du transport maritime ont été multipliés par cinq ou six. À tel point qu’une usine de l’est de la France a réactivé le transport routier entre la Chine et la France. Quatre semaines de camion non-stop dans les conditions de voyage que l’on imagine et pourtant, ce mode de transport est devenu plus avantageux que le fret maritime !

À ces pénuries se superposent les bouleversements provoqués par les enjeux de transition écologique qui entraînent une transition technologique d’une vitesse fulgurante, en particulier dans l’automobile. Les grands constructeurs ont dû adapter très vite leurs gammes vers l’hybride et l’électrique, ce qui pose d’énormes problèmes en matière de transformation des moyens industriels et d’adaptation des compétences. L’évolution brutale de la filière automobile pourrait impacter environ 100000 emplois d’ici 2030, prédit l’Observatoire paritaire de la métallurgie. Une crise majeure se profile donc dans la filière auto. C’est aujourd’hui l’enjeu numéro 1 de notre branche. La situation de l’aéronautique est aussi très préoccupante. Les grands donneurs d’ordre ont adapté leurs volumes de production à la demande : les vols long-courriers sont encore très faibles. La réouverture des frontières américaines le 20 novembre prochain est bien accueillie par la filière, mais le rythme de production restera fortement ralenti pendant encore de nombreux mois.

Comment la métallurgie s'adapte-t-elle au besoin de nouvelles compétences qui arrive?

H. M. : Les tensions sur le recrutement nous préoccupent beaucoup. Chaque année, l’industrie aurait besoin de recruter 120000 à 150000 salariés (100000 emplois sont non pourvus à l’heure actuelle) dont la moitié pour la seule métallurgie. Par ailleurs, nous entrons dans une période particulière puisqu’aux nouveaux besoins en compétences du secteur s’ajoute la problématique d’une forte vague de départ à la retraite qui complexifie les difficultés de recrutement. C’est notamment pour cela que la branche investit beaucoup sur la formation professionnelle. Il y a trois ans, nous avons décidé d’augmenter nos effectifs d’alternants de 50% d’ici 2024. L’apprentissage se porte plutôt bien dans la métallurgie : nos centres de formation forment près de 30000 apprentis et alternants chaque année et les effectifs n’ont pas baissé durant la crise : les nouveaux contrats d’apprentissage ont crû de 20% en 2020 et nous nous attendons à une croissance semblable en 2021. Par ailleurs, notre appareil de formation accueille chaque année près de 15000 demandeurs d’emploi intéressés par une reconversion dans nos métiers, notamment grâce au partenariat que nous avons établi avec Pôle emploi. Nous communiquons également auprès des jeunes chaque année pour renforcer l’attractivité de nos métiers. Cette année, nous avons repris notre tournée nationale, le French Fab Tour, co-organisée avec les UIMM territoriales et BPI France. Il s’agit d’une exposition mobile qui valorise nos métiers. Elle est partie de Metz le 13 septembre, visitera treize villes et terminera sa tournée le 21 octobre à Toulouse. L’objectif est d’aller à la rencontre des jeunes et des familles pour susciter des vocations ! Nous comptons aussi sur d’autres évènements comme la compétition Worldskills dont la finale mondiale sera organisée à Lyon en 2024.

La métallurgie est-elle concernée par les appels de Jean Castex et d’Élisabeth Borne à l’augmentation des salaires et des minima conventionnels de branches ?

H. M. : Dans nos secteurs, les rémunérations sont de 13 à 15% supérieures à la moyenne des salaires du marché. Notre branche connaît depuis longtemps une véritable dynamique de négociation des minima conventionnels.

Votre branche est la première à avoir négocié un accord APLD qui a fait boule de neige. Où en est-on du chômage partiel dans la métallurgie et ce dispositif a-t-il sauvé des emplois ?

H. M. : Selon les dernières statistiques Dares et Unedic en date de juillet 2021, 180 000 salariés de l’industrie (sur environ 3 millions) étaient encore inscrits dans un dispositif d’activité partielle, qu’elle soit de droit commun ou de longue durée, dont la moitié dans la métallurgie. C’est une évolution importante depuis le début de l’année où ils étaient encore 270 000. Bien sûr, ces chiffres doivent s’analyser secteur par secteur. Il est des branches où le recours au chômage partiel est très faible (l’énergie ou l’agroalimentaire) et d’autres, comme le transport de matériel industriel où il touche encore 25% de l’effectif. L’accord APLD de la branche a été bien décliné par nos entreprises. Beaucoup de DRH s’en sont emparés pour disposer, au besoin, d’un outil supplémentaire pour faire face à la crise. Certains n’ont pas eu besoin d’activer leur accord ; d’autres qui ne pensaient pas devoir le faire, ont dû y avoir recours. Dans l’automobile et l’aéronautique, notamment, il est évident que le dispositif a permis de préserver les compétences nécessaires au rebond et a sauvé des milliers d’emplois même si nous n’avons pas encore une comptabilité précise.

Les entreprises de la métallurgie ont-elles eu recours au FNE-Formation pour former leurs salariés en activité partielle durant la crise ?

H. M. : Opco2i, l’opérateur de compétences de l’industrie, a su rapidement informer et sensibiliser ses entreprises adhérentes à ce dispositif attractif.  Aujourd’hui, sur une enveloppe d’environ 150 millions d’euros pour financer 25000 formations, près de 45% ont été dépensés pour financer 25000 formations, dont 73% pour les entreprises de la métallurgie. L’enveloppe devrait donc être intégralement consommée sans difficultés.

Au-delà de l’apprentissage et de la formation continue, quels leviers actionner pour trouver les compétences dont la métallurgie a besoin ?

H. M. : Nous sommes en passe de renouveler notre convention avec les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Il s’agira d’une convention de trois ans qui mettra le focus sur nos grands enjeux. Évidemment, nous allons également renforcer nos partenariats avec les réseaux de formation et d’insertion pour sensibiliser d’éventuels candidats à nos métiers : écoles de production, écoles de la deuxième chance, groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ), mentorat… Pôle emploi accompagne également nos entreprises sur les dispositifs de préparations opérationnelles à l’emploi, qu’elles soient collectives ou individuelles, ainsi que les méthodes de recrutement par simulation (MRS). À côté de cela, l’UIMM milite pour que la réforme de l’assurance-chômage soit menée à son terme afin de corriger les dysfonctionnements du marché du travail et redonner au travail tout son sens et toute sa place. Nous attendons d’avoir des précisions sur le revenu d’engagement des jeunes annoncé par le Gouvernement. Nous demandons néanmoins dès à présent que le dispositif soit conditionné à une contractualisation, sans quoi nous risquerions de retomber dans les travers d’anciens dispositifs qui n’ont pas fonctionné. Nous militons également pour la mise en place de fonds mutualisés de la formation pour mieux accompagner les entreprises de 50 à 300 salariés qui ont été les perdantes de la réforme de 2018.

Quid du dispositif TransCo (transitions collectives) qui semble ne pas avoir rencontré le succès ?

H. M. : L’UIMM a approuvé le principe du dispositif tout en déplorant sa complexité. Nous plaidons donc pour la simplification de TransCo et son adossement au congé de mobilité [plutôt que sur le projet de transition professionnelle - PTP, ex-"CPF de transition", NDLR] qui constitue un excellent outil de reconversion « à froid ». Simplifié, TransCo peut en effet répondre aux besoins de certaines filières comme l’automobile et aux grands enjeux de la métallurgie. Cependant, pour cela, il faut changer de braquet. Nous proposons cinq points d’amélioration du dispositif : charger les Crefop de la consolidation de listes d’emplois en tension ou porteurs grâce aux données de Pôle emploi ; inciter les entreprises et les salariés à entrer dans le dispositif; confier le rôle d’instruire les dossiers aux OPCO ; appuyer TransCo sur le congé de mobilité pour sécuriser les conditions de la rupture du contrat, et enfin, permettre le financement du congé de mobilité au travers du FNE-Formation. .

Où en est la négociation de la convention collective nationale de la métallurgie engagée depuis 2016 ?

H. M. : Après 5 ans de négociations intensives, l’accord final devrait être mis sur la table avant Noël 2021 pour signature. Le sujet des rémunérations, particulièrement d’actualité, a été finalisé voici une quinzaine de jours. Nous avons arrêté le principe d’une grille unique nationale pour toute la branche applicable au 1er janvier 2024. Nous avons actuellement dans notre branche 76 conventions territoriales. En 2024, nous aurons une seule convention collective nationale. C’est un chantier historique et complexe mené avec l’ensemble des organisations syndicales de la branche.

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre