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Marylise Léon : le changement dans la continuité

Syndicat | publié le : 21.06.2023 | Frédéric Brillet

Marylise Léon, nouvelle secrétaire générale de la CFDT.

Marylise Léon, nouvelle secrétaire générale de la CFDT.

Crédit photo Bruno Lévy

Intronisée secrétaire générale de la CFDT le 21 juin dernier à la suite de Laurent Berger, dont elle est proche, Marylise Léon compte maintenir le cap d’un syndicat réformiste ouvert au compromis qui accompagne les actifs dans les mutations du marché de l’emploi.

« Le sens de l’écoute… Une bosseuse… La maîtrise des dossiers… Une sensibilité aux enjeux sanitaires, féministes et environnementaux... Une grande simplicité dans le contact… Un goût pour l’argumentation... Assertive… Posée… Analytique… Efficace… Une aisance dans la communication…Sympa… » N’en jetez plus, la coupe est pleine. Et déborde de compliments. À écouter quelques-uns des responsables politiques, syndicaux ou d'entreprise qui ont croisé son chemin ces dernières années, Marylise Léon coche décidément toutes les cases qui légitiment son accession à 46 ans à la tête du premier syndicat de France. Depuis l’annonce de son retrait, Laurent Berger, qui l’a adoubée, y va aussi de son compliment, d’une intervention publique à l’autre. Dans une vidéo postée sur le site de la CFDT, il promet qu’« elle est tout à fait prête pour être une super secrétaire générale ». Dans une interview au Monde, il loue son « dynamisme », sa forte compréhension du monde du travail, notamment « des nouvelles formes d’emploi » (comprendre les travailleurs dits « indépendants » qui dépendent des plateformes). Et puis « elle s’est battue avec énergie lors des négociations sur l’assurance chômage. (…) Elle est appréciée au sein de la maison, elle est proche des gens, humaine ».

Dans ces conditions, pas étonnant qu’avant même son départ officiel, prévu le 21 juin, celui qui a piloté la centrale de Belleville pendant onze ans laisse sa numéro deux monter en première ligne : le 6 juin dernier sur la tranche 7-8h de RTL, elle y défendait la quatorzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Une manif sous forme de baroud d’honneur puisque la loi avait été déjà votée, mais à laquelle la dauphine tenait à participer. D’autant que l’opinion publique incite les dirigeants de la CFDT à ne rien lâcher. Selon les sondages, deux Français sur trois soutenaient encore en juin dernier le mouvement syndical dans son opposition à cette réforme. Marylise Léon battait donc ce jour-là allègrement à l’antenne le rappel de ses troupes, et même au-delà : « On est très motivés, on appelle l'ensemble des travailleurs à venir se mobiliser contre les 64 ans. »

Souci d’équilibre

En bonne cédétiste, elle ajuste méticuleusement chacun de ses coups contre les pouvoirs économiques et politiques en place. D’un côté, les critiquer suffisamment pour ne pas se faire accuser de compromission par sa base de militants ou la concurrence, mais de l’autre, éviter de s’opposer systématiquement à toutes les initiatives patronales ou gouvernementales. Exercice délicat. Ainsi, en juin dernier, enjoignait-elle l’exécutif d’écouter « le monde du travail qui ne veut pas de cette réforme » tout en marquant subtilement sa différence avec les centrales plus offensives, CGT en tête. Questionnée ainsi sur l’attitude de Sophie Binet, la nouvelle patronne de Montreuil qui qualifiait de « scandale démocratique » le fait de faire passer la réforme sur les retraites sans vote majoritaire de l’Assemblée nationale en s’appuyant sur l’article 40 de la Constitution, la cédétiste jouait le démarquage : « Je ne sais pas s’il s’agit d’un scandale démocratique, l’article 40 existe dans la Constitution », avançait-elle prudemment... tout en réclamant un vote sur ce sujet majeur.

Ce souci d’équilibre et cette culture de la négociation constituent un chemin de crête qu’a su, avant elle, emprunter son mentor Laurent Berger aux côtés duquel elle se tenait, le 6 juin dernier, derrière la banderole de tête, sur le trajet Invalides-Place d’Italie, choisi ce jour-là par l’intersyndicale pour battre le pavé. Bien sûr, à cette date, la foule des grands jours n’était plus au rendez-vous. Bien sûr, la fatigue des manifestants était palpable. Comme les autres centrales, la CFDT savait déjà que la bataille était perdue. Mais elle n’en démord pas : la guerre peut encore être gagnée. Le combat autour de l’âge de la retraite a enflammé l’opinion et a rapporté à l’organisation réformiste une vague exceptionnelle d’adhésions. 43 000 nouvelles cartes. Une hausse qui taquine les + 10 % selon les dires mêmes de Marylise Léon. Auréolés de ce score, les dirigeants de la CFDT jouissent d’une cote enviable en interne. Laurent Berger se voyait honorer durant la manif d’une chanson inédite à sa gloire, entonnée manifestement en prévision de son départ. « Laurent on t’aime », chantaient rigolards, les « ambianceurs » du camion sono siglé CFDT. Combien de combats syndicaux la nouvelle secrétaire générale devra-t-elle mener pour susciter un tel engouement ?

Le salaire minimum, les inégalités professionnelles de genre, l'harmonisation des droits familiaux de retraite qui varient d’un régime à l’autre, le projet « pacte de vie au travail » lancé par Emmanuel Macron – dont le titre entre en résonance avec le « pacte du pouvoir de vivre » initié par Belleville en 2019 –, la préservation du pouvoir d’achat dans un contexte d’inflation… Les chantiers ne vont pas manquer de s’accumuler sur son agenda. Marylise Léon a déjà de quoi se faire les crocs. Mais elle devrait trouver plus de « grain à moudre », pour reprendre une expression syndicale d’hier, sur un marché de l’emploi redevenu favorable aux salariés. Les occasions de valoriser l’action de la CFDT, de l’emporter dans certaines négociations ne manqueront pas. Faudra-t-il forcer le patronat ou forcer le Gouvernement à forcer le patronat pour obtenir ces avancées ? « Il faudra un bon mix des deux », affirme-t-elle. Et de proposer de dynamiser les négociations entre partenaires sociaux en conditionnant les exonérations sociales à la signature d’accords. Malin. Toujours ce mélange de pragmatisme et de fermeté. « Marylise, c’est une main de fer dans un gant de velours », glisse une cadre de la fédération CFDT des services, qui lui reconnaît une autorité naturelle. Selon son entourage, elle aurait pris aussi de l’assurance dans ses prises de parole en public. Le message de la CFDT pourra avec elle aussi bien s’imprimer dans l’opinion qu’avec Laurent Berger, le chouchou des médias, pour peu qu’elle monte en compétences en matière de sens de la formule et d’art de la punchline. Autre atout : cette ingénieure chimiste de formation, qui a planché dans un cabinet spécialisé dans les questions d'environnement et de pollution, est bien consciente que les syndicats ne peuvent faire l'impasse sur la transition écologique. Mais que cette dernière se doit d’être juste sur le plan social si l’on veut réconcilier ceux qui s’inquiètent de la fin du monde avec ceux qui s’inquiètent de la fin du mois. Cerise sur le gâteau, celle qui sera la seconde femme à accéder à la tête de la CFDT, trois décennies après Nicole Notat, affiche sa sensibilité aux questions de genre, de harcèlement et d’égalité des droits. Ce qui la place en symbiose avec son époque.

Le temps des Bac + 5

Ce satisfecit en interne trouve son pendant côté patronal. Une nouvelle génération de leaders syndicaux, mieux formés et diplômés est censée favoriser le dialogue social. À croire qu’entre Bac + 5, on peut plus facilement s’entendre… « À l’instar de Sophie Binet à la CGT, Marilyse Léon incarne cette relève », pointe une cadre du Medef qui a eu l’occasion de se confronter à elle sur des sujets comme l’égalité hommes-femmes ou le partage de la valeur. « Pour justifier ses revendications, elle s’appuie sur de solides arguments de fond plutôt que par des coups de poing sur la table. C’est une posture qui favorise la conclusion d’accords. » Un bon point pour celle qui, par ailleurs, entretient des rapports plutôt cordiaux tant avec Patrick Martin qu’avec Dominique Carlac’h. Particulièrement à l’heure où les partenaires sociaux souhaitent plus que jamais, après l’épisode des retraites, faire prévaloir le dialogue social sur les autres sujets, laissant l’État n’intervenir qu’en tout dernier recours.

Pour autant, des incertitudes subsistent. « A-t-elle la capacité à concevoir une bonne stratégie pour la CFDT ? » s’interroge un ancien dirigeant de la centrale. Le responsable cédétiste d’une branche professionnelle, pour sa part, pointe un fonctionnement interne en silo, qu’elle va devoir améliorer pour tenir compte des nouvelles réalités d’un monde du travail touché par l’ubérisation. En outre, un nouveau défi attend la nouvelle patronne de Belleville. « Elle va devoir changer de registre en trouvant de nouveaux terrains de lutte qui s’inscrivent dans une dynamique positive de conquête de droits sociaux. Ce qui n’était pas le cas de la discussion sur la retraite où il s’agissait pour les syndicats de préserver un acquis… », confie un cadre de la confédération. La CFDT va devoir aussi passer à l’offensive pour défendre un pouvoir d’achat rongé par l’inflation. Avec autant de dossiers à traiter, se pose la question de savoir combien d’années elle tiendra à ce poste très exposé de leader. Parce qu’elle pratique le semi-marathon, on prête à Marylise Léon une grande ténacité et résilience. Il lui en a déjà fallu pour surmonter les échecs : sur le dossier de l’assurance chômage où elle négociait pour le compte de la CFDT, elle n’a pu empêcher la réduction des montants et la durée d’indemnisation des personnes privées d’emploi. Il lui faudra encore davantage pour relever tous les défis qui l’attendent.


 

Bio express

Née le 23 novembre 1976 au Mans et d’origine bretonne, Marylise Léon déménage régulièrement dans son enfance avec sa famille pour accompagner les mutations de son père, gestionnaire de réseaux de transports collectifs. Après le lycée au Mans, elle étudie à l'université d'Angers, puis à Créteil, et obtient en 2000 un diplôme d'études supérieures spécialisées (l'équivalent d’un master aujourd’hui) en chimie dédié à la « qualité chimique et biologique des atmosphères ». Au début de sa carrière, elle a été responsable sécurité environnement de plusieurs entreprises, puis a travaillé pour un cabinet de conseil sur la sécurité, l’environnement et la dépollution des usines d’incinération. Engagée par la CFDT chimie-énergie, elle prend ensuite en charge la formation des représentants du personnel à la prévention des risques industriels, les conditions de travail, les maladies professionnelles et la protection de l’environnement après l'explosion de l'usine AZF. Gravissant les échelons un à un, elle est nommée secrétaire nationale confédérale de 2014 à 2018, où elle a l'occasion de plancher sur le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises, la politique industrielle et énergétique, le dialogue social et la représentativité. Élue secrétaire générale adjointe en 2018 puis en 2022, elle se hisse au premier plan en avril 2023, quand Laurent Berger annonce simultanément qu’il quitte le poste de secrétaire général et que cette mère de deux enfants est vouée à lui succéder le 21 juin suivant, lors du bureau national, en attendant le prochain congrès cédétiste attendu en 2026.


 

 

Auteur

  • Frédéric Brillet